La Sorcière
justice. Enfin ils pressèrent la commission d'expédier Grandier. Les choses ne pouvaient plus aller. Les nonnes même leur échappaient. Après cette terrible orgie de fureurs sensuelles et de cris impudiques pour faire couler le sang humain, deux ou trois défaillirent, se prirent en dégoût, en horreur ; elles se vomissaient elles-mêmes. Malgré le sort affreux qu'elles avaient à attendre, si elles parlaient, malgré la certitude de finir dans une basse-fosse 18. , elles dirent dans l'église qu'elles étaient damnées, qu'elles avaient joué le Diable, que Grandier était innocent.
Elles se perdirent, mais n'arrêtèrent rien. Une réclamation générale de la ville au roi n'arrêta rien. On condamna Grandier à être brûlé (18 août 1634). Telle était la rage de ses ennemis, qu'avant le bûcher ils exigèrent, pour la seconde fois, qu'on lui plantât partout l'aiguille pour chercher la marque du Diable. Un des juges eût voulu qu'on lui arrachât même les ongles, mais le chirurgien refusa.
On craignait l'échafaud, les dernières paroles du patient. Comme on avait trouvé dans ses papiers un écrit contre le célibat des prêtres, ceux qui le disaient sorcier le croyaient eux-mêmes esprit fort. On se souvenait des paroles hardies que les martyrs de la libre pensée avaient lancées contre leurs juges, on se rappelait le mot suprême de Jordano Bruno, la bravade de Vanini. On composa avec Grandier. On lui dit que, s'il était sage, on lui sauverait la flamme, qu'on l'étranglerait préalablement. Le faible prêtre, homme de chair, donna encore ceci à la chair, et promit de ne point parler. Il ne dit rien sur le chemin et rien sur l'échafaud. Quand on le vit bien lié au poteau, toute chose prête, et le feu disposé pour l'envelopper brusquement de flamme et de fumée, un moine, son propre confesseur, sans attendre le bourreau, mit le feu au bûcher. Le patient, engagé, n'eut que le temps de dire : « Ah ! vous m'avez trompé ! » Mais les tourbillons s'élevèrent et la fournaise de douleurs... On n'entendit plus que des cris.
Richelieu, dans ses Mémoires , parle peu de cette affaire et avec une honte visible. Il fait entendre qu'il suivit les rapports qui lui vinrent, la voix de l'opinion. Il n'en avait pas moins, en soudoyant les exorcistes, en lâchant la bride aux capucins, en les laissant triompher par la France, encouragé, tenté la fourberie. Gauffridi, renouvelé par Grandier, va reparaître encore plus sale, dans l'affaire de Louviers.
C'est justement en 1634 que les diables, chassés de Poitou, passent en Normandie, copiant, recopiant leurs sottises de la Sainte-Baume, sans invention et sans talent, sans imagination. Le furieux Léviathan de Provence, contrefait à Loudun, perd son aiguillon du Midi, et ne se tire d'affaire qu'en faisant parler couramment aux vierges les langues de Sodome. Hélas ! tout à l'heure, à Louviers, il perd son audace même ; il prend la pesanteur du Nord, et devient un pauvre d'esprit.
13. Wyer liv. III, ch. vu, d'après Grillandus.
14. Doctrine très-ancienne qui reparaît souvent dans le moyen âge. Au dix-septième siècle, elle est commune dans les couvents de France et d'Espagne, nulle part plus claire et plus naïve que dans les leçons d'un ange normand à une religieuse (affaire de Louviers). — L'ange enseigne à la nonne premièrement « le mépris du corps et l'indifférence à la chair. Jésus l'a tellement méprisée, qu'il l'a exposée nue à la flagellation, et laissé voir à tous... » — Il lui enseigne « l'abandon de l'âme et de la volonté, la sainte, la docile, la toute passive obéissance. Exemple : la sainte Vierge, qui ne se défia pas de Gabriel, mais obéit, conçut. — Courait-elle un risque ? Non. Car un esprit ne peut causer aucune impureté, Tout au contraire, il purifie. » — A Louviers, cette belle doctrine fleurit dès 1623, professée par un directeur âgé, autorisé. David. Le fond de son enseignement était « de faire mourir le péché par le péché, pour mieux rentrer en innocence. Ainsi firent nos premiers parents. Esprit de Bosroger (capucin). La Piété affligée , 1645 ; p. 167, 171, 173, 174, 181, 189, 190, 196.
15. L' Histoire des diables de Loudun , du protestant Aubin, est un livre sérieux, solide, et confirmé par les Procès-verbaux mêmes de Laubardemont. Celui du capucin Tranquille est une pièce grotesque. La Procédure est à notre grande Bibliothèque de Paris. M.
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