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La Sorcière

La Sorcière

Titel: La Sorcière Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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les gens du roi. Désespérés, ils invoquèrent un Diable et ils l'eurent à commandement. Il parut chez les Ursulines.
    Chose hasardeuse. Mais que de gens intéressés au succès ! La supérieure voyait son couvent, pauvre, obscur, attirer bientôt les yeux de la cour, des provinces, de toute la terre. Les moines y voyaient leur victoire sur leurs rivaux, les prêtres. Ils retrouvaient ces combats populaires livrés au Diable en l'autre siècle, souvent (comme à Soissons) devant la porte des églises, la terreur et la joie du peuple à voir triompher le bon Dieu, l'aveu tiré du Diable « que Dieu est dans le Sacrement » l'humiliation des huguenots convaincus par le démon même.
    Dans cette comédie tragique, l'exorciste représentait Dieu, ou tout au moins c'était l'archange terrassant le dragon. Il descendait des échafauds, épuisé, ruisselant de sueur, mais triomphant, porté dans les bras de la foule, béni des bonnes femmes qui en pleuraient de joie.
    Voilà pourquoi il fallait toujours un peu de sorcellerie dans les procès. On ne s'intéressait qu'au Diable. On ne pouvait pas toujours le voir sortir du corps en crapaud noir (comme à Bordeaux en 1610). » Mais on était du moins dédommagé par une grande, une superbe mise en scène. L'âpre désert de Madeleine, l'horreur de la Sainte-Baume, dans l'affaire de Provence, firent une bonne partie du succès. Loudun eut pour lui le tapage et la bacchanale furieuse d'une grande armée d'exorcistes divisés en plusieurs églises. Enfin Louviers, que nous verrons, pour raviver un peu ce genre usé, imagina des scènes de nuit où les diables en religieuses, à la lueur des torches, creusaient, tiraient des fosses les charmes qu'on y avait cachés.
     
    L'affaire de Loudun commença par la supérieure et par une sœur converse à elle. Elles curent des convulsions, jargonnèrent diaboliquement. D'autres nonnes les imitèrent, une surtout, hardie, reprit le rôle de la Louise de Marseille, le même diable Léviathan, le démon supérieur de chicane et d'accusation.
    Toute la petite ville entre en branle. Les moines de toutes couleurs s'emparent des nonnes, les divisent, les exorcisent par trois, par quatre. Ils se partagent les églises. Les capucins à eux seuls en occupent deux. La foule y court, toutes les femmes, et, dans cet auditoire effrayé, palpitant, plus d'une crie qu'elle sent aussi des diables. Six filles de la ville sont possédées. Et le simple récit de ces choses effroyables fait deux possédées à Chinon.
    On en parla partout, à Paris, à la cour. Notre reine espagnole, imaginative et dévote, envoie son aumônier ; bien plus, lord Montaigu, l'ancien papiste, son fidèle serviteur, qui vit tout et crut tout, rapporta tout au pape. Miracle constaté. Il avait vu les plaies d'une nonne, les stigmates marqués par le Diable sur lés mains de la supérieure.
    Qu'en dit le roi de France ? Toute sa dévotion était tournée au diable, à l'enfer, à la crainte. On dit que Richelieu fut charmé de l'y entretenir. J'en douté ; les diables étaient essentiellement espagnols et du parti d'Espagne ; s'ils parlaient politique, c'eût été contre Richelieu. Peut-être en eut-il peur. Il leur rendit hommage, et envoya sa nièce pour témoigner intérêt à la chose.
     
    La cour croyait. Mais Loudun même ne croyait pas. Ses diables, pauvres imitateurs des dénions de Marseille, répétaient le matin ce qu'on leur apprenait le soir d'après le manuel connu du père Michaëlis. Ils n'auraient su que dire si des exorcismes secrets, répétition soignée de la farce du jour, ne les eussent chaque nuit préparés et stylés à figurer devant le peuple.
    Un ferme magistrat, le bailli de la ville, éclata, vint lui-même trouver les fourbes, les menaça, les dénonça. Ce fut aussi le jugement tacite de l'archevêque de Bordeaux auquel Grandier en appelait. Il envoya un règlement pour diriger du moins les exorcistes, finir leur arbitraire ; de plus son chirurgien, qui visita les filles, ne les trouva point possédées, ni folles, ni malades . Qu'étaient-elles ? Fourbes à coup sûr.
    Ainsi continue dans le siècle ce beau duel du médecin contre le Diable, de la science et de la lumière contre le ténébreux mensonge. Nous l'avons vu commencer par Agrippa, Wyer. Certain docteur Duncan continua bravement à Loudun, et sans crainte imprima que cette affaire n'était que ridicule.
    Le Démon, qu'on dit si rebelle, eut peur, se tut, perdit la voix.

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