L'âme de la France
dont il pense qu'il peut en finir avec la tragédie algérienne.
Mais de Gaulle voit plus loin :
« L'appel qui m'est adressé par le pays exprime son instinct de salut. S'il me charge de le conduire, c'est parce qu'il veut aller non certes à la facilité, mais à l'effort et au renouveau. En vérité, il était temps ! »
Est-ce, en germe, la manifestation d'un malentendu ?
Le pays et les hommes politiques appellent ou acceptent de Gaulle pour régler un problème précis. De Gaulle, lui, est porté par une ambition nationale de grande ampleur.
Quoi qu'il en soit, la IV e République était condamnée :
« Quand les hommes ne choisissent pas, écrit Raymond Aron en 1959, les événements choisissent pour eux. La fréquence des crises ministérielles discréditait le régime aux yeux des Français et des étrangers. À la longue, un pays ne peut obéir à ceux qu'il méprise. »
Surtout si ce pays a l'âme de la France.
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L'EFFORT ET L'ESPOIR GAULLIENS
1958-1969
67.
Durant plus de dix ans, de juin 1958 à avril 1969, la France a choisi de Gaulle.
Au cours de cette décennie, le peuple, consulté à plusieurs reprises par voie de référendum, à l'occasion d'élections législatives ou dans le cadre d'une élection présidentielle au suffrage universel (1965), s'est clairement exprimé.
Jamais, au cours des précédentes Républiques – notamment la III e et la IV e –, le pouvoir politique n'a été autant légitimé par le suffrage universel direct. Jamais donc le « pays légal » n'a autant coïncidé avec le « pays réel ».
Si bien que cette pratique politique – usage du référendum, élection du président de la République au suffrage universel direct après la modification constitutionnelle de 1962 – a créé une profonde rupture avec la IV e République, qui avait prorogé toutes les dérives et les impuissances de la III e .
La V e République est bien un régime radicalement nouveau, né de la réflexion du général de Gaulle amorcée avant 1940.
C'est un régime rigoureusement démocratique, même si les conditions de son instauration, on l'a vu, sont exceptionnelles.
Ceux qui, comme Mitterand, ont ressassé que ce régime était celui du « coup d'État permanent » et que de Gaulle n'était qu'une sorte de Franco, un dictateur, ont été – quel qu'ait été l'écho de leurs propos dans certains milieux, notamment la presse et le monde des politiciens – démentis par les faits, le résultat des scrutins venant souvent contredire les éclats de voix et de plume des commentateurs, voire l'ampleur des manifestations de rue.
Lorsque, en avril 1969, de Gaulle propose par voie de référendum une réforme portant sur l'organisation des pouvoirs régionaux, il avertit solennellement le pays :
« Votre réponse va engager le destin de la France, parce que si je suis désavoué par une majorité d'entre vous..., ma tâche actuelle de chef de l'État deviendra évidemment impossible et je cesserai aussitôt d'exercer mes fonctions. »
Ce que les opposants du général de Gaulle qualifient de stratégie du « Moi ou le chaos » n'est que la volonté de placer le débat en toute clarté, à son plus haut niveau de responsabilités.
Battu par 53,18 % des voix au référendum du 27 avril 1969, de Gaulle quitte immédiatement ses fonctions.
Cette leçon de morale politique est l'un des legs de ces dix années gaulliennes.
Elle exprime une conception vertueuse de la politique, tranchant sur celles des politiciens opportunistes qui ont peuplé les palais gouvernementaux avant et après de Gaulle.
Elle reste inscrite dans l'âme de la France. De Gaulle lui doit beaucoup de son aura, de son autorité et du respect qu'il inspire encore.
Pour cela, il est l'une des références majeures de l'histoire nationale.
On en oublie même que sa présidence a d'abord été tout entière dominée par la tragédie algérienne, qui ne trouve sa fin, dans la douleur, l'amertume, la colère, parfois la honte, le remords et le sang, qu'en 1962.
De Gaulle ne peut déployer son projet pour la France qu'après avoir arraché le pays au guêpier algérien. Mais il a consacré à cette tâche plus de quatre années, et il ne lui en reste que cinq – de 1963 à 1968 – pour ouvrir et conduire des chantiers vitaux pour la nation, avant les manifestations de mai 1968.
Ces dernières le conduisent à s'assurer en 1969 que le « pays réel » lui accorde toujours
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