L'âme de la France
haute noblesse n'a plus les moyens de se dresser contre le souverain. On ne prend plus les armes. On ose à peine prendre la plume.
La servilité, qui masque sa lâcheté sous le nom de « service de l'État », alors qu'elle n'est que soumission pour la recherche d'une charge, d'une distinction, d'une rétribution, s'inscrit elle aussi dans l'âme de la France.
Et Louis XIV fait preuve d'une lucidité cynique et machiavélienne lorsqu'il écrit :
« Je crus qu'il n'était pas dans mon intérêt de chercher des hommes d'une qualité plus éminente – pour me servir –, parce que ayant besoin sur toutes choses d'établir ma propre réputation, il était important que le public connût par le rang de ceux dont je me servais que je n'étais pas en dessein de partager avec eux mon autorité, et qu'eux-mêmes, sachant ce qu'ils étaient, ne conçussent pas de plus hautes espérances que celles que je leur voudrais donner. »
Il ajoute, dévoilant sa méthode de gouvernement solidaire excluant la désignation d'un ministre principal : « Il était nécessaire de partager ma confiance et l'exécution de mes ordres sans la donner entière à personne. »
Ce changement dans l'administration du royaume (conseillers d'État, maître des requêtes, intendants, subdélégués et officiers appliquent le plus souvent avec rudesse les ordres du roi), s'il en renforce la cohésion, ne fait pas pour autant disparaître la misère des plus humbles.
Au contraire. C'est en cascade que les besoins financiers de l'État vont écraser de taxes et d'impôts les « jacques ».
Ceux-ci se rebellent dès 1661-1662 dans tout le nord du royaume, puis en Sologne, en Bretagne. Les troupes répriment avec une cruelle efficacité ces « émotions paysannes » que la disette ou la famine provoquent.
On pend les « meneurs ». On condamne aux galères : les navires construits sur l'ordre de Colbert ont besoin de bras. On sévit sans hésitation, sans remords ni regrets. Se rebeller contre le souverain est sacrilège. Le pouvoir absolu l'affirme avec netteté :
« Quelque mauvais que puisse être un prince, écrit Louis XIV, la révolte de ses sujets est toujours infiniment criminelle. »
Le roi peut donc gouverner selon son « bon plaisir », qui est aussi, par nature, le choix propre à assurer sa gloire et celle du royaume.
Dans le pouvoir absolu, il n'y a pas séparation entre les désirs du monarque et les besoins de la nation.
Tout gouvernement de la France sera plus ou moins consciemment l'héritier de cette conviction et de cette pratique absolutiste dont Louis XIV a imprégné l'âme de la France.
Le roi en fait le ressort de sa politique religieuse et de sa politique étrangère.
Il s'agit là des deux domaines où il est confronté à d'autres pouvoirs éminents : ceux du pape et des autres souverains.
Il veut affirmer face au pape son autonomie, alors qu'il est le Roi Très-Chrétien de la fille aînée de l'Église, et montrer aux autres monarques qu'il leur est supérieur.
En 1682, dans la Déclaration des quatre articles, Louis XIV s'arroge notamment le droit de nomination des évêques, exaltant ainsi le « gallicanisme » traditionnel de l'Église de France.
Il affirme : « Les rois et les souverains ne peuvent être soumis par ordre de Dieu à aucun pouvoir ecclésiastique dans les choses temporelles, ni déposés directement ou indirectement par l'autorité des chefs de l'Église, ou leurs sujets dispensés de foi et d'obéissance et déliés de leur serment de fidélité. »
Dans cette compétition de pouvoir entre le roi et le pape, Louis précise que les conciles sont supérieurs au souverain pontife et qu'il ne saurait donc être question d'infaillibilité pontificale.
Le pouvoir absolu se veut seul de son espèce.
Le roi de France est supérieur à tous les autres.
L'âme de la France se grisera de ces certitudes.
Le roi peut à sa guise, selon son bon plaisir, mettre fin à la « paix établie » avec ses voisins.
« Tout était calme en tous lieux, reconnaît-il. Vraisemblablement pour autant que je le voudrais moi-même. »
Mais le veut-il ?
« Mon âge et le plaisir d'être à la tête de mes armées m'auraient fait souhaiter un peu plus d'affaires au-dehors », admet-il encore.
C'est qu'il s'agit de sa gloire.
Et à Londres comme à Rome, pour des questions de préséance, ou après un incident diplomatique, il réagit en affirmant sa prééminence et en
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