L'âme de la France
l'absolutisme.
« Celui qui a donné des rois aux hommes, écrit Louis XIV, a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à lui seul le droit d'examiner leur conduite. Sa volonté est que quiconque est né sujet obéisse sans discernement. »
Nul ne peut contester, juger, refuser d'appliquer une décision du souverain.
Aucune autorité n'existe en dehors de la sienne. Aucune assemblée – même celle du clergé, et même le pouvoir pontifical –, aucune cour, aucun parlement, et naturellement pas les états généraux ne peuvent se dresser contre le roi, ou simplement l'interroger.
« Il est Dieu, dit une cousine de Louis XIV. Il faut attendre sa volonté avec soumission et tout espérer de sa justice et de sa bonté, sans impatience, afin d'en avoir plus de mérite. »
Plus aucun corps intermédiaire, plus aucune fonction n'existent hors de la volonté royale.
Les maires des villes, les gouverneurs des provinces, les évêques, sont désignés par le monarque, ou, si leurs nominations échappent à son autorité, ils perdent tout pouvoir. Un lieutenant général de police – celui de Paris, La Reynie – restera en poste de 1667 à 1697. Un intendant de police, de justice et de finance, et les subdélégués au service de celui-ci, sont les agents d'exécution des volontés royales.
L'armée – jusqu'alors aux mains des nobles, propriétaires des grades – devient un rouage essentiel de la monarchie absolutiste. Elle est l'instrument de sa politique étrangère, mais aussi de la répression contre ceux qui se rebellent. Elle est puissante : 67 000 hommes en 1677, 400 000 en 1703. La flotte passe de 18 navires en 1661 à 276 en 1683 !
Des officiers roturiers sont nommés au mérite, leurs grades échappant ainsi à la vénalité des offices.
L'armée est aux ordres exclusifs du roi. Et l'hôtel des Invalides accueille ceux des soldats qui ont été blessés à son service.
Tout est dans les mains du souverain.
Ainsi les Conseils du roi qui se réunissent quotidiennement. Ainsi le Conseil étroit (en présence du monarque), les intendants des provinces, mais aussi les académies créées par Colbert – surintendant des finances et des bâtiments – autour de l'Académie française (Académies des inscriptions et belles-lettres, des sciences, de musique, d'architecture).
L'image de ce pouvoir personnel est Versailles, où la Cour symbolise par sa soumission, son étiquette réglée comme celle d'une cérémonie religieuse, que le roi est au-dessus de tous et que chacun lui doit une obéissance servile.
Hors de son autorité – et de son regard –, personne n'existe.
L'âme de la France est modelée par cette servitude exigée qui devient vite volontaire. Le « fonctionnement » du gouvernement de la France, de toute la société, est déterminé par une « volonté » unique, celle du monarque, qui élève ou brise au gré de son « bon vouloir », de son intérêt dynastique ou de la vision qu'il a de l'intérêt du royaume.
Nicolas Fouquet était surintendant des finances. Le souverain le soupçonne d'avoir une ambition autonome, de parvenir peut-être à regrouper autour de lui des opposants à l'absolutisme, ou simplement d'affaiblir par sa propre lumière le rayonnement solaire du pouvoir royal. Aussi est-il arrêté, emprisonné à vie, sans aucune possibilité de recours (septembre 1661). La lettre de cachet condamne sans explication. L'État absolutiste est un État « totalitaire ». Aucun domaine ne lui échappe : Colbert crée des manufactures, de grandes compagnies de commerce qui devraient concurrencer les hollandaises et les anglaises. Le roi a son historiographe : Racine ; son peintre : Le Brun ; son architecte : Le Vau ; son musicien : Lully. Molière joue ses pièces devant le souverain ; il est son protégé.
L'âme de la France apprend à servir et à louer, à attendre l'impulsion ou l'ordre de l'État pour créer.
Elle vit de l'État et sous la protection de l'État (un tarif protecteur est institué à nos frontières par Colbert en 1667) ; c'est par le service de l'État qu'on s'élève dans la hiérarchie sociale.
Chacun dépend du roi, est son courtisan et son serviteur, mais, par-delà la personne du monarque, c'est le royaume que l'on sert.
Le roi s'identifie à la France. Et le peuple ne sépare pas le corps symbolique du roi du corps de la nation.
Mais chaque serviteur du roi, lieutenant général
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