L'âme de la France
Louis XIV –, de rabaisser l'orgueil des grands et les pouvoirs des parlements, comme l'avait fait un Richelieu. Louis XVI est honnête, mais il ne sait pas s'arracher à ses proches, à leur influence. Et on colporte – les pamphlets en répandent la rumeur – qu'il ne réussit pas même à consommer son mariage.
Sans roi déterminé – ou soutenant contre tous un ministre de combat –, il ne peut y avoir de monarchie forte ni donc de réforme d'envergure.
Il y a aussi le fait que personne ne peut concevoir l'avenir cataclysmique qui attend les privilégiés et le royaume.
Qui peut jamais imaginer la fin d'un monde ?
Les acteurs sont aveugles.
Mais, à cette caractéristique partagée par tous les régimes, s'ajoutent, pour la France de la fin du xviii e siècle, des circonstances particulières.
Une crise de subsistances frappe le royaume. Le peuple souffre dans les villes et les campagnes. Il est souvent au bord de l'émeute. Il s'en prend aux « puissants », et donc à la Cour, aux privilégiés, à la reine. Ces « émotions populaires », cette exacerbation des tensions sociales, prennent une signification politique, parce que l'esprit des Lumières s'est répandu non seulement parmi les élites, mais aussi au sein du peuple.
On sait ce qui se joue au théâtre : en 1775, Beaumarchais donne Le Barbier de Séville , et bientôt ce sera Le Mariage de Figaro . On n'a pas feuilleté l' Encyclopédie , mais on connaît son existence. Malesherbes, que Louis XVI a appelé à son Conseil, s'en est fait le protecteur. Lorsque, en mars 1778, il séjourne à Paris – où il meurt –, Voltaire, dont on n'ignore pas qu'il a contesté avec succès les verdicts de la justice – Calas, Sirven, La Barre, Lally-Tollendal –, est célébré comme le roi des Lettres et du parti philosophique. On couronne en sa présence son buste sur la scène de la Comédie-Française.
Tel est le climat social et intellectuel qui cerne la monarchie et ses privilégiés.
Or ce pouvoir « central » est divisé : les parlementaires et les grands sont hostiles aux réformes qui amputeraient leurs privilèges. Le roi ne pourrait s'opposer à eux qu'en s'appuyant sur la volonté réformatrice du tiers état, qu'anime désormais une bourgeoisie d'affaires et de talent.
Mais celui-ci est le groupe social le plus pénétré par l'esprit des Lumières. Il se rend au théâtre. Il lit. Il participe aux assemblées des sociétés de pensée, aux tenues des loges maçonniques.
Ce tiers état – et de jeunes nobles : La Fayette, le comte de Ségur, le duc de Noailles – s'enthousiasme pour la rébellion des « Américains » (des Insurgents ) contre l'Angleterre.
Volonté de revanche contre Londres après la guerre de Sept Ans – c'est Vergennes, chargé des Affaires étrangères, qui aura conduit avec talent la diplomatie française jusqu'à la guerre en 1778 –, mais, surtout une sympathie pour la « révolution américaine » semble portée par les Lumières.
On publie à Paris les textes de la Déclaration des droits de Philadelphie, la Constitution républicaine de la Virginie (1776) et la Déclaration d'indépendance (4 juillet 1776).
Ces textes qui affirment que « tous les hommes sont par nature libres et indépendants », que « tout pouvoir appartient au peuple et donc dérive de lui », sont lus comme autant d'incitations à contester la monarchie absolue.
On y évoque la séparation des pouvoirs, on y déclare qu'il existe des droits inaliénables, et que les gouvernements n'ont été institués que pour les faire respecter.
« Ils ne tirent leur juste pouvoir que du consentement de ceux qui sont gouvernés. »
« Liaisons dangereuses » (le livre de Laclos paraît en 1782) que celles qui se nouent entre une monarchie arc-boutée sur des principes immuables et les États-Unis d'Amérique, que cette même monarchie aide à vaincre et donc à instaurer un pouvoir républicain !
Même si le traité de Versailles – 3 septembre 1783 – marque la revanche française sur Londres et efface l'humiliation subie, conférant une once de gloire à Louis XVI, ce succès est lourd de conséquences.
Le retour de La Fayette à Paris, en 1782 est triomphal. Il est nommé maréchal de camp. L'esprit des Lumières, réformateur, est hissé au cœur du pouvoir.
Louis XVI a d'ailleurs choisi comme « directeur du Trésor » – il n'est pas membre du Conseil du roi – un
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