L'amour à Versailles
Une fois de plus, le cardinal se réjouit. C'était sans prévoir que le beau marquis demande la main de la princesse de Mantoue, Marie de Gonzague. Richelieu empêche les noces, et Cinq-Mars en conçoit une rancune tenace. Avec quelques-uns de ses amis, le garçon complote et échoue, provoquantl’ire non seulement du cardinal, mais de Louis XIII, à nouveau trahi par son protégé. Cinq-Mars est exécuté à vingt-deux ans, décapité, le 16 septembre 1642, place des Terreaux, à Lyon.
Chapitre 3
La chambre des nourrices
Tous les petits garçons sont des dieux pour leur mère, enfin, jusqu’à un certain âge du moins. Alors, lorsque le petit dieu est vraiment d’essence divine, qu’il est beau, attendu comme le messie et que la mère s’appelle Anne d’Autriche, l’amour maternel et par conséquent la fierté du rejeton touchent au délire. Louis, à qui est offert le nom prédestiné de Dieudonné, naît le 5 septembre 1638 à Saint-Germain-en-Laye. Dieudonné est un « enfant du miracle ». En tout cas, il n’est pas un enfant de l’amour : Anne d’Autriche devient mère après vingt-trois années de mariage et quelques fausses couches, tandis que les époux se détestent franchement : le corps du défunt n’est pas encore froid que la veuve fait casser son testament pour devenir régente. Devant son nouveau roi, qui n’a pas cinq ans, elle s’agenouille. Elle n’a pas brillé dans son rôle d’épouse, elle souhaite exceller dans celui de mère.
Avec le temps, l’Espagnole s’est considérablement émancipée. En 1619, elle consent enfin à porter des décolletés. L'austère du Louvre se déboutonne. On dit même qu’elle roucoule avec Mazarin, voire qu’elle convole, en secret, avec le cardinal. Si le fait n’est pas avéré, la régente devient dans la bouche des chansonniers, la maîtresse officielle de son Premier ministre :
Vous demandez d’où vient ma peine
Et ce qui m’a tant désolé :
C'est qu’on dit que j’ai mal parlé
Du cul et du con de la Reine.
Ils ont menti les Mazarins,
J’estime fort ces deux voisins.
Je n’ai rien dit, ne vous déplaise :
Je vous honore infiniment,
J’estime votre fondement,
Et votre con chaud comme braise.
Ils ont menti les Mazarins,
J’estime fort ces deux voisins.
Anne d’Autriche n’avait pourtant rien d’un tempérament de « braise ». A son arrivée en France, en 1615, elle est guindée, timide, prude et parle à peine le français. Passé la nuit de noces, calamiteuse, la reine est tellement effarouchée qu’elle préfère continuer à vivre à la mode espagnole, retrouvant sa vie de jeune fille, et surtout refuse catégoriquement son lit au roi. A seize ans, lesépoux font chambre à part. Il faut toute la persuasion du duc de Luynes, et de sa femme, pour que la reine accepte enfin de coucher avec Louis XIII. Dans l’alcôve, nul ne sait ce qui se passe, mais apparemment rien de bien excitant, ni de productif, puisque le couple reste sans enfant. Il faut une fameuse nuit d’orage, pour que, l’ordre du ciel étant bouleversé et le voyage du roi à Saint-Maur empêché, la reine se retrouve enfin enceinte, et mène sa grossesse à terme. Même Louis XIII est étonné.
Fait notable, l’adorable poupon naît avec des dents. A peine dans ce bas monde, il fait déjà souffrir les femmes, en l’occurrence ses nourrices. Pour allaiter le bambin, pas moins de trois paires de mamelles sont réquisitionnées : Louis aiguise ses incisives tour à tour sur Elisabeth Ancel, Marie de Senneville-Thierry et Perrette Dufour. Quelques tableaux en témoignent, où on le voit emmailloté comme une momie, tendant des quenottes avides vers le mamelon dévêtu d’une brunette à double menton, selon la mode de l’époque. Pourquoi un seul sein? Le détail m’a toujours amusé : montrez un sein sur une toile et vous peignez une vierge, deux, c’est une catin.
Tout de suite, il a sa favorite : Perrette Dufour, épouse Ancelin, repérée sur un marché aux bestiaux de Poissy alors qu’elle allaitait son proprenourrisson, de trois mois plus âgé que le fils d’Anne d’Autriche. Il faut dire que Perrette a son petit secret professionnel : pour ne point être blessée par la dentition du bambin, elle protège son téton en l’enrobant avec la couenne d’un jambon de porc. « Légère et court-vêtue », en « cotillon simple et souliers plats », la laitière royale gravit l’échelle sociale de manière fulgurante, et son
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