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L'amour à Versailles

L'amour à Versailles

Titel: L'amour à Versailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Baraton
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tonitruant qui dévaste tout sur son passage. Le hameau champêtre ne peut qu’abriter les bacchanales les plus dégoûtantes, la grotte est un claque, les bergers et bergères des satyres et des nymphes lubriques… puisque la Cour n’est pas conviée. Et s’il y a une chose à laquelle la noblesse est habile, c’est bien la médisance.
    La calomnie passe les frontières : le frère de Marie-Antoinette, Joseph II, à qui l’on doit les premières érections fructueuses de Louis XVI et qui, partant, ne devait pas être un enfant de choeur, prête à sa soeur les pensées les plus perverses, l’accuse de n’avoir de cesse de réaliser « les saloperies dont elle s’est remplie l’imagination par ses lectures ». D’où lui viennent ces livres? La gouvernante des Enfants de France, surnommée par la suite la « lubrique Guéménée », changerait les linges des petits tout en faisant l’éducation de la mère, lui apprenant, notamment, à se servir correctement de ses dix doigts. Il n’y a aucune preuve bien entendu, mais tel est le principe de lacalomnie. Dorénavant, il suffit que Marie-Antoinette s’enferme dans un boudoir avec un livre pour qu’on la regarde d’un air entendu, en lui souhaitant une lecture riche en émotions. Je me suis amusé à faire l’inventaire de la bibliothèque de la reine, non dans la pièce actuelle, mais grâce au catalogue publié par Paul Lacroix. Le seul ouvrage un tantinet licencieux qu’il recense est Le Paysan perverti de Restif de La Bretonne. Certes la reine, qui aimait à se déguiser en bergère, devait avoir un penchant pour les cabrioles bucoliques et aurait vu d’un oeil gourmand un paysan perverti, mais il faut beaucoup d’imagination pour en faire un ouvrage « lubrique ». Il est toutefois probable que Marie-Antoinette se soit débarrassée des titres compromettants, car chacun de ses livres était recouvert des armes royales, ou qu’elle ait choisi de les donner à l’une de ses amies. Fait, à mon sens, plus étonnant, la bibliothèque recèle un nombre important d’ouvrages d’histoire, de philosophie et de science, dont une Histoire des coquilles qui fut retrouvée dans sa salle de bain : rien que de l’édifiant, à moins de supposer que la reine parvienne aux portes du paradis en lisant Descartes ou les particularités de l’huître, auquel cas, elle eût été, pour de bon, vicieuse.
    Lorsque la Cour se lasse de compter les amants de la reine, elle lui prête des maîtresses, entreautres, Mme de Lamballe et Mme de Polignac. A l’époque, être « tribade » est l’échelon suprême dans la carrière du vice, l’horreur impardonnable, le « coquinisme honteux » comme on le lit dans les libelles. Qui sont donc les « petites amies » de Marie-Antoinette ? La princesse de Lamballe a, il est sûr, quelques raisons d’être dégoûtée de la gent masculine : son mari, grand amateur de théâtre, particulièrement de comédiennes, lui a non seulement offert la vérole pour ses vingt ans, mais l’a dépossédée de sa fortune au profit d’une Mlle La Forêt. Si le mari vérolé a le bon goût de mourir vite, fait amusant, dans le pavillon de Louveciennes qui servira, quelques années plus tard, d’ultime nid d’amour à Mme du Barry, il laisse son épouse sans le sou, affaiblie par un traitement au mercure, car c’est avec cette substance que sont soignées les maladies qui sentent le soufre. Elle en reste sujette à de fréquents évanouissements. La princesse de Lamballe arrive donc à la Cour avariée et miséreuse. Elle n’a pour elle que ses longs cheveux descendant jusqu’aux talons. Pour le reste, elle est plutôt vilaine et sans grande conversation. Or, quelques années plus tard, en 1775, la glorieuse charge de surintendance de la Maison de la reine est ressuscitée pour elle. Une telle faveur suffit à la Cour envieuse pour imaginer que c’est Sappho qui tire les ficelles.
    La princesse a vingt-six ans, la reine vingt, toutes deux sont insatisfaites en amour, et avides de découvrir le plaisir. Je les imagine évoquant l’ennui de leurs mariages, confiant leur dépit, leurs attentes, s’admirant, comparant leurs charmes, les cheveux de l’une, la peau de l’autre, leurs petits défauts, se réconfortant et puis tendrement s’enlaçant, cherchant un peu de tendresse et de fantaisie dans une étreinte qui ne peut dès lors rester chaste. C’est plus de l’amitié et de la curiosité que de la passion, tout au plus

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