L'amour à Versailles
l’appuie ouvertement afin qu’il devienne colonel au Régiment royal, puis aide de camp du comte Rochambeau. L'unique consolation de lareine est que toute la Cour jase et le bruit court qu’il est son amant : voilà la seule rumeur qui ait réjoui Marie-Antoinette.
Loin de moi la pensée que ces deux-là n’ont jamais fauté, bien au contraire, il paraîtrait même que le petit Louis XVII ne ressemblait guère à son père et avait un je-ne-sais-quoi de scandinave. Le monarque, lorsque naît son fils, écrit dans son journal intime : « La reine mit au monde le duc de Normandie, tout s’est passé comme lorsque mon fils est né. » De la part d’un roi qui écrivit « Rien » au jour du 14 juillet 1789, il s’agit presque d’une confession. Je crois seulement que Fersen et Marie-Antoinette ne se convenaient pas. Leurs esprits ont beau jouir d’une entente merveilleuse, les corps ne suivent pas. Ils s’aiment, se désirent, puis, une fois qu’ils sont passés à l’acte, se regardent, ahuris, en songeant : « Alors ce n’était que ça ! » Il y a beaucoup de tendresse, de complicité dans leur relation, sans doute même de l’amour, mais il manque l’étincelle nécessaire aux passions charnelles, et ce n’est pas la faute de Marie-Antoinette. A mon avis, ce beau Suédois, fin, délicat, racé, était plus à son aise pour trousser les dragons que les princesses. La chose, à l’un comme à l’autre, brise le coeur. Pour mettre un terme à leurs tourments respectifs, en pleine guerre d’Indépendance, Fersen part pour l’Amérique : en amour, la seule victoire, c’est lafuite. Leurs adieux sont déchirants. Ils firent couler beaucoup de larmes, et beaucoup d’encre : pour les chroniqueurs parisiens et les courtisans versaillais, l’Autrichienne s’est vendue corps et âme à l’étranger.
Cet amour impossible fut aussi indéfectible. Il lui offre son soutien dans les moments les plus difficiles : il est l’un des organisateurs de la fuite à Varennes. Par la suite, il entre en contact avec Léopold II, le frère de Marie-Antoinette, puis avec le roi de Suède Gustave III pour qu’ils déclarent la guerre à la France. La tentative échoue, Fersen reste fidèle à sa reine. Ils s’écrivent des lettres passionnées, codées, chiffrées, ou à l’encre de citron, au cas où elles tomberaient entre de mauvaises mains. Si la plupart de leur correspondance s’est perdue, les quelques missives qui nous sont parvenues et dont des paragraphes entiers ont été rendus sciemment illisibles, témoignent de leur attachement. A défaut d’être charnelle, leur affection fut véritable.
Voilà qui ne suffit toujours pas à faire de Marie-Antoinette une femme épanouie. Quel malheur d’être aimé de gens chastes lorsque l’on est soi-même taraudé par le désir ! La Dauphine, en cela d’une conduite fort moderne, prend donc pour habitude de dissocier le coeur de la cuisse. Ainsi va-t-elle goûter à bien des plaisirs, sans doute plusqu’une délurée comme Mme du Barry. J’y vois une des raisons pour lesquelles les deux femmes se haïssent tant : profondément, elles se comprennent, reniflent l’adultère à dix mètres et la partie fine d’encore plus loin. Marie-Antoinette n’en fait qu’à sa tête, prenant pour modèle l’impénitent Louis XV. Elle utilise à bon escient les nids d’amour légués par son beau-père, notamment Trianon.
Au tout début de son règne – en amour, c’est elle qui porte culotte –, elle prétexte un début de rougeole pour se retirer à Trianon, plusieurs jours durant, mais en bonne compagnie ! La reine souffrante est conduite par sa suite habituelle, Mme Élisabeth, quelques dames d’atour ou d’honneur, qui espèrent que le mal les aidera à protéger ledit « honneur » de leur maîtresse. Voilà la souveraine en quarantaine et Louis XVI note son départ dans son journal, laconique et fastidieux, n’ajoutant, comme à son habitude, aucun commentaire. Une fois les courtisans éloignés, les portes closes et les rideaux tirés, par cette belle nuit d’avril 1779, les sentiers isolés de Trianon bruissent de pas et de chuchotements. Pour veiller la malade, se joignent le duc de Coigny, le duc de Guines, le comte Esterhazy et le baron de Besenval. Pas un n’est médecin, tous sont connus pour être de joyeux drilles et chacun à sa manière a un remède miracleà proposer à la reine alitée. Le baron de Besenval, à plus de cinquante ans, est
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