L'année du volcan
corruption pour qu’une nouvelle fois l’Église en fût éclaboussée. Le coupable ayant été puni, il n’y avait aucune raison d’en rendre publiques les circonstances. Seul l’archevêque de Paris serait mis au courant de cette effroyable affaire par le lieutenant général de police.
Nicolas regagna aussitôt le Grand Châtelet où il raconta l’événement à un Bourdeau transi d’effroi. Avant de le quitter, il le chargea de plusieurs missions et lui expliqua comment il concevait la séance du lendemain afin de mettre un point final à l’affaire du meurtre du vicomte de Trabard.
Rue Montmartre, Noblecourt ne dormait pas et le fit appeler. Comme Rabouine et Bourdeau, il fut étonné de l’apparence de Nicolas, marqué et courbé.
— Ma foi, mon ami, que vous est-il advenu ! Auriez-vous vu le diable, comme jadis le régent d’Orléans dans la plaine de Grenelle ?
— Vous n’êtes guère loin de la vérité. J’ai vu un fratricide et un meurtrier frappé par le ciel.
Il s’assit et fit le récit de sa soirée au vieux magistrat qui l’écouta, les yeux mi-clos, avec la plus grande attention. Il nota les tremblements dans la voix toujours si claire et posée de Nicolas. Noblecourt soupira.
— Il y a trop longtemps que vous fréquentez la mort, Nicolas. Trop tôt, trop jeune, trop souvent. Étonnez-vous de cette lassitude qui parfois vous étreint. Cette pensée, qui ne devrait toucher que ceux qui comme moi sont à l’aboutissement de leur siècle, demeure votre souci quasi quotidien et, cela, depuis tant d’années. Votre curaillon a subi la peine qu’il avait méritée, même si l’horreur de son trépas peut éprouver un cœur tendre. Le ciel ne lui a-t-il pas accordé la grâce de le réduire, le faisant échapper ainsi aux tourments que notre bon Sanson lui aurait fait subir en place de Grève.
Il se pencha et prit les mains de Nicolas dans les siennes.
— La mort est notre attente. C’est un chemin difficile sur lequel on avance à reculons. La distance qui nous en sépare est toujours trop courte. Il faut s’y résigner.
Nicolas sentit que son vieil ami s’évertuait à lui confier ce qui le hantait.
— Il est vrai que notre mort n’a rien de plus extraordinaire que notre départ d’un endroit où nous ne faisons que passer en voyageant. L’un perd son honneur et sa réputation ? Qu’en a-t-il à faire de sortir de cette existence ? Le peu d’espace que nous occupons, voilà ce qui nous échappe. Moi, je perdrai mes livres et mon cabinet.
— Et vos amis ? Les croyez-vous si insensibles à la perspective de ne plus profiter de ce que vous représentez pour chacun d’eux ? Allons, vous savez que je n’aime pas ces mouvements qui vous agitent trop souvent. Voyez comme vous êtes gaillard. Parfois, vous vous abandonnez à ces délaissements, vous rentrez en vous-même, mesurez l’inanité de la vie humaine et sa brièveté et, par là même, vous baissez vos défenses face à celle qui toujours, veillant à la tranchée, attentive aux moindres faiblesses, n’attend que cela. Vous êtes pour vos amis un exemple, le sage qui nous justifie, à qui on se réfère. Sachez que loin de vous, votre nom est évoqué, vos jugements pris en exemple et ce que vous représentez révéré.
— Ah ! dit Noblecourt en riant, me voilà en statue de commandeur, en vache sacrée. Vous me mettrez en morceaux. On fera des châsses qu’on distribuera à mes amis. Me voici soudain folâtre. Je vous en remercie, cela va m’inciter au sommeil.
Nicolas remonta dans ses appartements. Il espérait avoir distrait Noblecourt de ses sombres pensées. Lui-même tarda à s’endormir, hanté de faux sommeils peuplés d’atroces visions dont il ressortit trempé de sueur et haletant. Il s’apaisa peu avant l’aube.
Samedi 2 août 1783
Le dernier acte de l’affaire Trabard se jouait dans la grand’salle du Châtelet. Nicolas venait d’informer Le Noir et Sartine des événements de la nuit et de la mort du chanoine Trabard. Il s’apprêtait à prendre la parole quand Decroix se leva. Son geste déclencha un mouvement des exempts, soucieux de maîtriser toute éventuelle action inconsidérée du prisonnier.
— Je demande à faire une déclaration, dit-il d’une voix à peine audible.
Le Noir jeta un regard à Nicolas, lui fit un geste invitant Decroix à parler.
— Je tiens à protester contre la version donnée par le commissaire Le Floch à la suite de
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