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L'arc de triomphe

L'arc de triomphe

Titel: L'arc de triomphe Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: E.M. Remarque
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aventures sans importance. Les choses étaient maintenant trop avancées. Il n’y avait plus qu’à faire face. À faire face honnêtement, sans chercher à s’illusionner, sans chercher à s’épargner.
    Il souleva son verre rempli de vin de Provence, et le tint à la lumière. Une nuit fraîche, une terrasse entourée par le flot, un ciel riant encore de l’adieu du soleil, et accueillant déjà la clarté cristalline des étoiles… « À l’intérieur de mon être, songeait-il, le calme est le phare qui éclaire les mois à venir, et les rejette ensuite dans l’ombre. J’ai conscience de tout, bien que je ne souffre pas encore. Mais je sais que la souffrance doit encore venir. Ma vie est comme ce verre dans ma main, rempli d’un vin étranger qui ne peut se garder, parce qu’il deviendrait amer, parce qu’il serait bientôt comme le vinaigre fade de la passion morte. »
    Cela ne durerait pas. Il y avait trop de tentations. Innocemment et sans penser, on se tournait comme une plante vers le soleil, vers les mille bienfaits d’une vie plus allégée. On demandait l’avenir, et il ne pouvait offrir que le présent avec tout ce qu’il avait de sordide. Rien ne s’était encore produit. Mais était-ce nécessaire ? Tout était décidé longtemps à l’avance. D’ordinaire on ne se rendait pas compte quand arrivait la fin spectaculaire, qu’elle était tout simplement la décision silencieuse, prise plusieurs mois auparavant.
    Ravic vida son verre. Le vin léger lui parut avoir un goût différent. Il le remplit de nouveau et le vida. Cette fois, le goût était redevenu semblable à ce qu’il était toujours.
    Il se leva, et se rendit à Cannes, au Casino.
    Il se mit à jouer avec calme, n’avançant que de petites mises. La fraîcheur était demeurée en lui, et il savait qu’il pourrait gagner tant qu’elle serait là. Il joua les derniers douze, le vingt-sept carré et le vingt-sept. Au bout d’une heure il avait gagné trois mille francs. Il doubla sa mise pour le carré et joua le quatre.
    Il vit entrer Jeanne. Elle portait une robe différente. Elle était donc rentrée à l’hôtel tout de suite après son départ. Elle était avec les deux hommes qui étaient venus la chercher en bateau, Le Clercq, un Belge, et Nugent, un Américain. Jeanne était très belle. Elle avait une robe du soir à larges fleurs grises. Il la lui avait achetée la veille de leur départ. Elle s’était exclamée, elle lui avait demandé comment il s’y connaissait si bien en fait de modes. Elle avait dit :
    « Elle est plus belle que la mienne. » Et après un regard : « Elle est plus chère aussi. »
    Oiseau, avait-il pensé, oiseau encore posé sur mes branches, mais dont les ailes palpitent déjà, prêtes à l’essor.
    Le croupier poussa une pile de jetons vers lui. Le carré était gagnant. Il retira le gain et laissa la mise. Jeanne alla vers les tables de baccara. Il ne savait pas si elle l’avait vu. Des gens qui ne jouaient pas la suivaient du regard. Elle marchait toujours comme si elle n’avait aucun but, et comme si elle devait constamment lutter contre le vent. Elle se retourna pour dire quelque chose à Nugent. Les mains de Ravic se crispèrent sous l’envie de se lever, de repousser ces jetons, de quitter la table au tapis vert, d’emporter Jeanne loin de tous ces gens, loin des portes, jusqu’à une île, peut-être celle qui se profilait à l’horizon au large d’Antibes, de l’emporter loin de tout… de l’isoler, et de la garder…
    Il joua de nouveau. Le sept gagna. Les îles ne suffisaient pas à isoler. On ne pouvait pas enfermer l’agitation du cœur, on perdait le plus facilement ce qu’on tenait entre ses bras… jamais ce qu’on laissait. La boule blanche s’arrêta. Le douze. Il misa de nouveau.
    Lorsqu’il releva la tête, son regard plongea droit dans celui de Jeanne. Elle se tenait de l’autre côté de la table, et le regardait. Il lui fit un signe de tête et sourit. Il indiqua la roulette en haussant les épaules. Le dix-neuf.
    Il plaça ses enjeux et leva de nouveau les yeux. Jeanne n’était plus là. Il se contraignit à demeurer à sa place. Il prit une cigarette dans le paquet qui se trouvait à côté de lui. Un des employés lui donna du feu. C’était un homme gras et chauve, dans un uniforme chamarré.
    « Les temps ont bien changé, dit-il.
    –  Oui », dit Ravic.
    Il ne le connaissait pas.
    « C’était différent en 29.
    – 

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