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Le bûcher de Montségur

Le bûcher de Montségur

Titel: Le bûcher de Montségur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Zoé Oldenbourg
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l’indifférence, il semblait ouvertement encourager l’hérésie.
    Là-dessus, les témoignages sont nombreux, quoique suspects, venant des ennemis du comte. Il s’entoure, dit-on, d’hérétiques et leur montre le plus grand respect, il songe même à faire élever son fils par leurs ministres. Son impiété est notoire : il ne se contente pas de persécuter systématiquement églises et couvents ; en assistant à la messe, il fait parodier par son bouffon les gestes du prêtre. On le voit se prosterner devant les ministres hérétiques ; un jour, dans un mouvement de colère, il s’écrie : « On voit bien que c’est le diable qui a créé le monde, rien n’y va comme je le voudrais ! » Bref, l’Église (en la personne de Pierre des Vaux de Cernay, homme enclin à des violences de langage, mais reflétant sans doute assez bien l’état d’esprit de son milieu) traite le comte de « membre du diable, fils de perdition, criminel endurci, boutique à péchés 9  » ; Innocent III lui-même n’est guère plus tendre : « tyran impie et cruel, homme pestilent et insensé 10  ».
    Mais c’est là justement que l’Église et les croisés se heurteront à une des plus grandes difficultés de leur entreprise : les choses sont beaucoup moins simples qu’ils ne voudraient le croire. Le tyran impie fait brusquement volte-face et rappelle à ses adversaires qu’il est toujours le seigneur d’une terre chrétienne. Après avoir tenté de faire intervenir en sa faveur le roi de France et l’empereur d’Allemagne (maladresse insigne : les deux monarques étant à couteaux tirés, aucun des deux ne pardonnera au comte sa démarche auprès de l’autre), Raymond VI se déclarera fils obéissant de l’Église et prêt à se soumettre à toutes les conditions que le pape voudra bien lui imposer.
    La décision du comte de Toulouse a été sévèrement critiquée par les historiens qui y ont vu une preuve de lâcheté ou du moins de faiblesse. Mais Raymond VI n’était certainement pas de ceux qui disent : « tout est perdu, fors l’honneur », son honneur personnel semblait l’intéresser fort peu, il cherchait à limiter les dégâts. Il ne faut pas oublier que la majorité de ses sujets étaient catholiques, et que c’est par conséquent eux, autant que les hérétiques, que les malheurs de la guerre risquaient d’atteindre. À ses sujets catholiques, le comte devait cette preuve de sa bonne foi ; à ses adversaires, il coupait l’herbe sous les pieds : s’il n’était plus l’ennemi à combattre, contre qui partaient-ils en guerre ? L’ennemi sans visage qu’était l’Hérésie n’avait ni armée, ni quartier général, ni places fortes, ni pape, ni roi ; la guerre, privée d’objectif précis, perdait la moitié de sa raison d’être.
    Il était beaucoup trop tard pour arrêter l’élan de l’armée de Dieu. La soumission du comte ne désarma personne : elle exaspéra plutôt la haine de ses adversaires dont cette manœuvre affaiblissait la position sans servir le moins du monde les intérêts de l’Église. Et l’armée des soldats du Christ envahira un pays conscient de subir une injustice flagrante, et transformera une guerre religieuse en guerre nationale.
III – LA TERRE OCCITANE
    Pendant que les croisés se préparaient à la guerre, Innocent III, tout en vouant le comte de Toulouse à toutes les malédictions divines et humaines, négociait avec lui. Le comte promettait une soumission totale. Il voulait seulement traiter des termes de sa capitulation avec un autre légat qu’Arnaud-Amaury, son ennemi juré. Le pape lui expédie Milon, notaire du Latran, accompagné du chanoine génois maître Thédise. Si le comte croit avoir affaire à des juges plus cléments, il se trompe : les deux hommes ne feront qu’obéir aux ordres de l’abbé de Cîteaux. « C’est l’abbé de Cîteaux qui continuera à tout faire…, aurait dit Innocent III à Milon, tu ne seras que son instrument. Il est suspect au comte, toi tu ne l’es pas. »
    En fait, le pape veut jouer au plus fin, et opposer une fausse clémence à une fausse soumission. Voici ce qu’il écrit à ses mandataires (l’abbé de Cîteaux et les évêques de Riez et de Couserans) : « On nous a demandé avec insistance quelle attitude les croisés devaient prendre à l’égard du comte de Toulouse. Suivons le conseil de l’apôtre qui a dit : “J’étais astucieux : je vous ai pris par la

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