Le Chant des sorcières tome 3
dans sa colère.
— Je n'en ai commis qu'une en vérité, celle d'être venue jusqu'ici pour tout vous révéler.
— Même l'accouchement de Jeanne de Commiers dans la chambre d'à côté ?
Cette fois Algonde se sentit piégée. Malgré tous ses efforts, elle avait sursauté.
— Algonde ?
C'était la voix de Mélusine, comme un grondement de chute d'eau bouillonnante.
— C'était l'enfant d'Aymar de Grolée, je suppose ? Curieusement je ne l'ai pas soupçonné quand Jeanne s'est échappée. Trop discret. À l'inverse de Jacques. Il savait n'est-ce pas ?
Algonde ne répondit pas.
— Assez joué, décida Marthe en rappelant à elle Algonde, suspendue dans les airs.
Les yeux d'Algonde avaient repris la couleur du Furon. La couleur de la haine. Mais plus encore de la peur. Une peur qui cette fois ouvrait à Marthe les portes de son esprit sans qu'elle puisse l'empêcher.
La Harpie pinça ses narines, fouilla en elle. Un sourire jubilatoire illumina pour la première fois ses traits. Elle planta un ongle entre les deux yeux de la jouvencelle. Algonde comprit aussitôt qu'elle allait subir le sort autrefois réservé à Jeanne de Commiers. Elle hurla de douleur et d'effroi mêlés, avec le sentiment qu'on lui aspirait son âme jusqu'en les coins les plus reculés de sa volonté. Avant de sombrer dans une nuit sans fond.
— Elle est à toi, ma sœur, cracha Marthe avant de la projeter, inerte, en direction de Mélusine.
— L'enfant ? Où est-il ? exigea celle-ci.
— On ne peut pas tout avoir, lui porta son rire maléfique.
À l'instant où Algonde s'enfonçait, inconsciente, dans le siphon des Cuves du Furon, Marthe avait déjà filé.
43
Mélusine n'avait que peu de temps devant elle. Pressant Algonde toujours inconsciente contre son ventre, elle nagea aussi vite qu'elle put jusqu'au lac souterrain, près de la Rochette. Déposant Algonde sur la berge, elle plongea dans l'onde que trouait un rayon de lumière tombé du plafond. Elle remonta quelques secondes après avec un flacon, arracha le bouchon de coquillage et le vida dans la bouche de la jouvencelle. Se cabrant sous la douleur, Algonde hurla. Les images revinrent, en bloc. Puis tout se calma et elle tourna vers Mélusine, visiblement inquiète, son visage surpris.
— Ta mémoire ? demanda celle-ci en l'aidant à se redresser.
— Intacte.
Mélusine se relâcha.
— Pourquoi a-t-elle voulu m'en priver ?
Mélusine lui prit les mains, plongea dans les siens ses yeux verts.
— Pour m'empêcher de me servir de toi. Je sais ce que tu penses de moi, ce que ma mère pense de moi, mais vous vous trompez, toutes les deux. Je veux regagner les Hautes Terres, je veux recouvrer mon immortalité, je ne le nie pas, mais il faut me croire, Algonde, je n'ai rien en commun avec Marthe. Jamais je n'ai semé la terreur, jamais je n'ai tué ni forcé quiconque. Je ne veux pas le règne du mal.
Algonde soupira.
— Et quand bien même, c'est trop tard. Soit Présine a mis l'enfant en sécurité, soit il tombera entre les mains de Marthe. Je n'ai pas le pouvoir d'empêcher cela.
— Moi je l'ai, Algonde. Je l'ai, je te jure que je l'ai.
Algonde sonda ce visage abîmé par les siècles, par les flots. Il avait l'air si sincère.
— Seule, ma mère ne peut pas vaincre. Tôt ou tard Marthe la trouvera. Depuis des siècles j'extrais le venin de la vouivre. J'en possède désormais une quantité suffisante pour que Marthe meure par simple projection.
Elle lui pressa les mains.
— Je t'en prie, Algonde. Tu l'as entendue comme moi, elle n'est que vengeance. Elle n'épargnera personne… Personne.
Les visages d'Elora, de Mathieu, de Philippine passèrent devant les yeux brouillés d'Algonde.
— Mère me pardonnera si je lui prouve que j'en suis digne. Elle lèvera la malédiction. Nous serons libres, toi et moi. Nous serons tous libres.
Des larmes s'étaient mises à rouler sur les joues d'Algonde. Elle le savait. Depuis le premier jour elle le savait. Cela devait finir comme ça.
Elle baissa les yeux.
— À deux pas d'ici. Dans la grotte pyramide, au pied des falaises de Fontaine. C'est là qu'elle m'a demandé d'amener l'enfant. Pour que tu l'y retrouves, je crois.
Mélusine la serra dans ses bras.
— Nous reviendrons te chercher. Elle et moi. Je te le promets.
Algonde hocha la tête, résignée.
Elle accepta la main tendue de Mélusine, se déshabilla et pénétra dans l'eau à ses côtés.
L'une pour
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