le collier sacré de Montézuma
notabilités du coin. On s’empressait pour la servir et à la façon dont semblait se dérouler son dialogue avec la dame de la caisse, on comprenait que la maison compatissait aux ennuis de cette fidèle cliente. Quand enfin elle sortit, munie d’un panier dans lequel gonflait un grand sac de papier, Marie-Angéline la rejoignit :
— Vous êtes bien M me Berthe Poirier ?
Elle parlait doucement, cependant la cuisinière qui venait de pêcher un croissant dans le sac et allait mordre dedans sursauta et la regarda, les yeux ronds :
— Oui… C’est moi.
— Pardonnez-moi de vous aborder de la sorte mais je ne peux pas faire autrement. Je suis M lle du Plan-Crépin, la cousine du prince Morosini. Il m’a chargée de vous demander si vous connaissez l’adresse de Lucien Servon ?
Rassurée, Berthe remit son croissant dans le panier et croisa ses mains sur son ventre :
— Son adresse ? Mais ma pauvre mademoiselle, c’était ici son adresse, et ça depuis des années !
— Alors, où a-t-il pu aller quand il est parti ? Vous l’a-t-il confié ?
— Pour sûr, je lui ai demandé, ne serait-ce que pour le prévenir quand notre pauvre Monsieur reviendrait, mais il m’a dit qu’il donnerait des nouvelles à Mr Bailey. Que pour l’instant, il fallait qu’il s’en aille et qu’il ne pouvait pas m’en dire plus ! Faut dire qu’il avait l’air affolé. Il a même ajouté que je devrais faire comme lui…
— Qu’en pensez-vous ?
— Oh, moi, vous savez, je n’ai pas grand-chose à craindre. J’ai seulement affaire à la vieille dame le matin pour les menus. Elle aime bien ma cuisine. Les autres aussi, à ce qu’il paraît !
— Comment est-elle avec vous ?
— Pas désagréable. Elle n’a pas l’air commode mais ça doit tenir à sa figure parce qu’elle sait commander sans être déplaisante. Je vais vous dire : je suis comme tout le monde et je n’sais pas qui sont ces gens-là mais, elle, c’est une dame, une vraie ! Et je m’y connais !
— Et le reste de la famille ?
— À vous dire la vérité, je ne les vois guère, sinon pas du tout. La jeune dame ne quitte son appartement que pour les repas. Ce que je sais, c’est que le jeune monsieur sort beaucoup et que le vieux passe son temps dans le bureau…
— Ils ont remplacé Servon ?
— Pas encore. Ils ont demandé à l’ambassade d’à côté de leur prêter quelqu’un en attendant qu’ils partent pour Biarritz, mais pour l’instant il n’y a personne. Sauf le valet de chambre du vieux monsieur qui sert pour les deux et que j’n’aime pas trop. Avec ses grosses moustaches et ses yeux riboulants, il a plutôt l’air d’un révolutionnaire. Les dames aussi ont une femme de chambre mais celle-là ressemblerait plutôt à une souris et ne parle pas davantage. Elle travaille bien, je ne peux pas en dire plus… Faites excuse, Mademoiselle, mais il faudrait que je rentre. Ils sont à cheval sur l’heure et je ne voudrais pas voir arriver le moustachu !
— C’est trop juste ! Excusez-moi ! Oh, un mot encore ! Servon a fait allusion à des objets disparus ? Il n’a pas dit lesquels ?
— Non ! Tenez ! Qu’est-ce que je vous disais ! Vous le voyez là-bas qui rapplique ?
Une silhouette d’homme sortait en effet de l’hôtel. Les deux femmes échangèrent un salut rapide et Berthe poursuivit son chemin tandis que Marie-Angéline donnait le change en faisant quelques pas sur le trottoir, ne se décidant à traverser pour rejoindre la voiture qu’une fois la cuisinière rentrée. Elle se hâta de retourner auprès d’Aldo qui démarra aussitôt :
— Alors ? fit-il.
Elle raconta avec une précision rigoureuse. Une mémoire exceptionnelle lui permettait d’enregistrer quasi mot par mot ce qu’elle entendait. Puis elle ajouta, assez contente d’elle-même :
— Vous avez eu raison de m’envoyer. On venait voir pourquoi elle s’attardait et si bavarder un instant avec une voisine est anodin, s’entretenir avec quelqu’un comme vous devant une boulangerie au petit matin risquait de faire jaser !
— Mais c’est exactement ce que je pensais ! Vous savez bien que vous êtes irremplaçable !
— N’exagérons rien !… À propos de remplacement, ne serait-il pas possible, en passant par un quelconque fonctionnaire de l’ambassade espagnole, d’introduire dans la place le frère du valet d’Adalbert ?
— Romuald ? S’il est libre, ce ne serait
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