le collier sacré de Montézuma
encore à croire à ma chance. C’est une reine que j’épouse, tu sais ?
— Ben voyons ! fit Aldo, indulgent. Moi, je trouve qu’elle a autant de chance que toi et j’espère qu’elle s’en rend compte !
— Que veux-tu dire ?
— Que tu es, toi aussi, un roi dans ton genre et que j’espère qu’elle t’apprécie. Qu’elle est aussi amoureuse que tu l’es…
— Naturellement elle l’est et j’en suis sûr mais…
— Mais quoi ?
— Une jeune fille de son rang – elle descend à la fois de Charles Quint et de Montezuma ! – ne saurait se montrer expansive ou faire étalage de ses sentiments ! Un sourire, un regard en sont les seuls témoignages que peut s’autoriser une vierge de sa condition. Doña Luisa, sa grand-mère, y veille de près…
Aldo eut soudain l’impression d’assister à une représentation de Ruy Blas et d’entendre les interdits de la Camarera Mayor : « Madame, une reine d’Espagne ne regarde pas par la fenêtre !… Madame, une reine d’Espagne ne reçoit pas de fleurs… » et faillit se mettre à rire mais la mine extatique de son ami lui en fit passer l’envie. Il poursuivait :
— Elle sera pour moi une épouse exceptionnelle, la plus noble des compagnes ! Une châtelaine…
— Une châtelaine ?
— Oui, j’ai acheté un château mais je te raconterai plus tard. Elle m’attend au Ritz et je t’y conduis. J’ai évidemment retenu ta chambre puisque c’est là que tu descends d’habitude.
Morosini s’arrêta au milieu du quai, ce qui obligea Vauxbrun à en faire autant, ainsi que le porteur de ses bagages. Puis, dardant sur son ami un regard inquiet :
— Tu te sens bien ?
— Mais… naturellement ! Qu’est-ce que tu as ?
— C’est à toi qu’il faudrait poser la question. En dehors de Lisa et des enfants dont tu ne m’as pas demandé de nouvelles, tu te souviens peut-être de ma Tante Amélie – la marquise de Sommières !
— Forcément, puisque je l’ai invitée. Elle va bien, j’espère ?
— Je te le dirai tout à l’heure quand tu m’auras conduit chez elle, rue Alfred-de-Vigny, où j’habite lorsque je viens à Paris !
Vauxbrun eut un petit rire et se frappa le front :
— Quel imbécile je fais ! Comment ai-je pu l’oublier ? Toutes mes excuses, mon vieux ! Depuis que nous sommes plongés dans les préparatifs du mariage, je mélange tout ! Bien sûr, tu vas rue Alfred-de-Vigny !… Mais là, je vais te mettre dans un taxi, ajouta-t-il en consultant sa montre. Isabel m’a donné rendez-vous pour quelques courses de dernière minute et je ne veux pas la faire attendre…
Il était fébrile à présent, pressé de gagner la sortie vers laquelle il allait s’élancer. Aldo le retint :
— Une minute, s’il te plaît ! Commence par me débarrasser de ça ! fit-il en tendant la valise spéciale contenant les deux Guardi qui avaient voyagé avec lui.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Notre cadeau de mariage, à Lisa et à moi. Avec tous nos vœux de bonheur !
— C’est un tableau ?
— Deux. Les Guardi que tu aimes tant. Nous espérons que ta fiancée les aimera aussi !
Soudain ému jusqu’aux larmes, Gilles embrassa son ami :
— Merci ! Mille fois merci ! Je sais déjà où les mettre… mais pour l’instant il faut que je me hâte. Tu comprends, n’est-ce pas ?
En fait, Aldo comprenait de moins en moins et, dans le taxi qui l’emmenait au parc Monceau sur lequel donnait l’hôtel de Tante Amélie, il s’efforçait de mettre de l’ordre dans ses idées assez sérieusement perturbées par le comportement de l’heureux fiancé. S’il ne l’avait si bien connu, il aurait pu douter avoir affaire au même personnage. En quelques mois, cet homme enthousiaste, passionné par son métier, insoucieux du qu’en-dira-t-on et crachant feu et flammes dès qu’il était question de la bien-aimée du moment, toujours flamboyant et cultivant plus volontiers le style mousquetaire que le genre hidalgo coincé, s’était mué en une espèce de mystique prosterné aux pieds de son idole et prêt à lui sacrifier la terre entière…
L’impression revint en force quand on se retrouva le lendemain après-midi à la mairie du VII e arrondissement pour le mariage civil… et en très petit comité : les deux fiancés et les quatre témoins. Pour Doña Isabel, son oncle et son cousin, et pour Gilles, qui n’avait aucune famille, son assistant et fondé de pouvoir
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