le collier sacré de Montézuma
demanda-t-il tandis que son regard se posait sur les occupantes du jardin d’hiver où Tante Amélie aimait à tenir ses assises au milieu des plantes vertes, des fleurs et des meubles en rotin blanc à coussins de chintz.
Octogénaire depuis peu mais droite comme un I dans des robes princesse à guimpe baleinée sous une collection de sautoirs précieux, coiffée d’une couronne de beaux cheveux blancs où s’attardaient quelques mèches rousses, la marquise ne manquait ni de majesté jointe à une certaine grâce, ni d’une solide dose d’humour dont elle jouait pour déguiser ses sentiments intimes.
Auprès d’elle se tenait Marie-Angéline du Plan-Crépin, lectrice, cousine et âme damnée, si l’on pouvait ainsi qualifier une aussi pieuse personne assidue à la messe de six heures à l’église Saint-Augustin d’où elle tirait une foule de renseignements lui permettant de ne rien ignorer de ce qui se passait dans le quartier, voire plus loin. Sous une toison d’un blond terne qui lui donnait l’apparence d’un mouton monté en graine, la noble demoiselle – elle ne laissait ignorer à personne que ses ancêtres avaient « fait » les croisades – cachait une culture quasi encyclopédique, des talents surprenants, un cœur grand comme Saint-Pierre de Rome et une tendance marquée à se mêler de ce qui ne la regardait pas. Ce qui lui avait permis par le passé d’apporter une aide non négligeable à ses deux héros préférés, Aldo Morosini et Adalbert Vidal-Pellicorne.
— Où veux-tu que nous l’ayons vue ? fit la marquise en haussant les épaules. Elle vivait à Biarritz, si j’ai bien compris, et nous avons appris son existence en même temps que le mariage il n’y a pas trois semaines ! On a l’impression que cette passion est tombée sur le crâne de ce pauvre innocent de Vauxbrun comme une cheminée un jour de grand vent !
— Il y a de ça, approuva Aldo, songeur. Une chose est certaine : il n’est plus le même. Dieu sait que je l’ai déjà vu tomber amoureux, mais jamais à ce point ! C’est plus que de la dévotion ! On dirait qu’il vit prosterné devant elle. Il est vrai qu’elle est assez exceptionnelle !
— Ah, il était temps ! soupira Marie-Angéline. Avec toutes ces digressions, je me demandais si nous allions un jour en arriver là. Et si vous consentiez à être un peu plus explicite ?
— Que pourrais-je dire ? Évoquer les plus beaux Goya, les plus beaux Titien, les plus beaux Boldini ne servirait à rien parce qu’elle est différente. La beauté la plus pure avec une teinte d’exotisme…
M me de Sommières fronça les sourcils :
— Eh bien ! Voilà de l’enthousiasme ! dit-elle d’un ton mécontent. Si je te comprends, elle représente un danger pour tous les hommes qui l’approchent ?
Devinant l’inquiétude qu’elle n’exprimait pas, Aldo lui sourit et se pencha pour poser un baiser sur sa joue poudrée :
— Pas pour moi !
— Et pourquoi, s’il te plaît ? Tu es si enthousiaste !
— Parce qu’elle n’a pas l’air de vivre…
On se retrouva devant Sainte-Clotilde le matin suivant et, comme Gilles Vauxbrun n’avait aucune famille à l’exception de lointains cousins qu’il ne voyait jamais, le maître de cérémonie conduisit le groupe au premier rang, côté droit de la nef, Adalbert comme les autres, bien que le fiancé et lui ne fussent pas liés par une grande amitié. Il y avait déjà affluence et le bedeau, armé d’un balai en paille de riz, s’activait à faire disparaître du beau tapis rouge les quelques traces de pas encore visibles. Assistance ô combien élégante ! Le célèbre antiquaire faisait partie du Tout-Paris et nombre de personnalités étaient présentes. Certaines venaient de Versailles et la famille Morosini retrouva avec plaisir ceux avec qui l’on avait vécu l’exposition de Trianon et les aventures des « larmes » de Marie-Antoinette. Il y avait là lady Mendl, M me de La Begassière, le général de Vernois en grand uniforme, sa femme entortillée de chantilly chocolat et le couple Olivier et Clothilde de Malden, toujours aussi charmants. Cette réunion était un plaisir et on échangea quelques propos à voix contenue, tout en observant ceux qui arrivaient. Parmi eux, plusieurs figures nettement hispaniques que nul ne semblait connaître. Sur le côté gauche de l’église, les chaises et les prie-Dieu réservés à la famille de la mariée
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