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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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n’est pas anxieux, mais circonspect. Maréchal de France à vingt-neuf ans, il a l’expérience des hommes et du terrain. Il sait que l’on peut faire équipe avec Commynes sous certaines conditions : celles du terrain, précisément. Il faut opter pour un sol ferme, accidenté peut-être, mais ferme. La situation actuelle prête à trop de glissades, trop de sables mouvants qui répugnent à Commynes. Rohan souhaite se rapprocher de lui, plutôt que de Daillon, trop habile, toujours en quête de rapines ou de bénéfices chimériques. Et puis Daillon a près de soixante ans – comme Charles d’Amboise, tiens ! – alors que Commynes est encore jeune. Toute différence d’âge peut compromettre une aventure à deux. La vieillesse apporte l’expérience, mais retire l’instinct et le goût de la lutte, cet appétit de victoire qui aimante la chance. Quant à Louis d’Amboise, qui a toutes les qualités pour faire un bon partenaire, Rohan ne songe pas une seconde à le circonvenir : « Son vieux père le chaperonne et je crains qu’il ne soit jaloux de moi. »
    Pour l’instant, ce n’est pas ce qui préoccupe Rohan. Absolument pas. En ce moment, aucun projet, aucun plan ne s’ébauche dans sa tête. Il ne réfléchit à rien, n’envisage aucun avenir immédiat, ne conçoit que ce qu’il voit sous le ciel de lit : le visage qui respire. Il ne regarde que cette image avec une attention qui le dépasse. Il écoute, il attend et retient sa pensée. C’est un phénomène qui affecte les autres également, tous les autres autour du lit, et qui dure depuis l’aube, depuis une heure exactement. À la différence de la veille et des jours précédents où le roi retrouvait, par intervalles, la parole – sinon la cohérence et la raison –, le souverain ne s’est pas réveillé, a rejeté les aliments liquides qu’Angelo Cato et Adam Fumée portaient à sa bouche. Alors, depuis l’aube, c’est une époque étrange que l’on vit, une épreuve insensée. On dirait que l’air se condense dans la chambre, qu’il forme des gouttes et chacune, de plus en plus lente, de plus en plus dure, tombe sur les paupières du roi, sur ses lèvres à peine entrouvertes. Et tout le monde refuse encore l’idée de la mort.
    Il suffit, parfois, d’un événement infime, d’un bruit insignifiant pour faire sursauter les corps et les consciences. On avait oublié Tison, le lévrier favori du roi, tapi dans un coin de la pièce. Il vient de gémir ou, plus précisément, d’étouffer un cri, sans doute pour exprimer un sentiment. Il se lève avec lenteur sur ses longues pattes élastiques et s’approche du lit en faisant crisser doucement le carrelage. Sans comprendre pourquoi, chacun lui cède le passage. Son museau flaire la couverture, puis s’allonge sur elle, bien à plat, tout près de la main recroquevillée et voilà que celle-ci se déplie, se pose sur la tête du chien :
    — Ah, Tison ! murmure le roi.
    Il ouvre ensuite les paupières. Alors, ses yeux, enfoncés dans les orbites comme deux billes vertes, affrontent les regards ébahis et répondent : « Oui. C’est moi. Je suis là. »
    Coitier, le premier, veut rompre le silence, se détacher des autres, proposer ses services d’une voix étranglée :
    — Sire…
    — Non !
    On ne saura jamais ce que ce « non » signifie vraiment, car Louis XI referme les lèvres et les yeux. On ne saura jamais, non plus, s’il a l’intention de dormir encore un peu ou de faire semblant, s’il compte réunir ses forces, rassembler ses esprits et redevenir le roi de France, ou si, au contraire, il renonce, s’abandonne à l’inconscience, à la détresse du corps et de l’âme. Sa main droite n’a pas quitté la tête de Tison.

2
    Plus fluide que noire, la nuit lave ses yeux grands ouverts. Il l’interroge et l’embrasse du regard, attendant qu’elle nettoie ses idées. La présence de Commynes chargé de veiller sur lui et qui dort au fond de la chambre, à huit pas de son lit, le rassure de manière illusoire, comme si l’insomnie le mettait au-dessus des autres, lui prêtait la vigilance d’un maître, l’assurance de ne dépendre de personne, la fierté d’être à nouveau celui dont tout le monde dépend. Hélas, il n’en croit rien. Il sait très bien qu’il est encore un roi diminué, un malade incapable de

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