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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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d’hérédité. Ainsi, quand il a prononcé : « Ca… lais… il faut… », Charles a tout de suite traduit : « Il faut laisser Calais tranquille et les Anglais en paix. Ce n’est pas le moment de leur faire la guerre. La paix avant tout ! » Il convient, ici, de préciser que si l’adolescent a compris si vite, c’est que Jean Bourré l’avait prévenu dans la matinée : « Le roi vous parlera sans doute de Calais qu’il considère inopportun d’attaquer en ce moment. » Ensuite, lorsque Louis XI a dit : « Vos ser… viteurs… garder… », Charles a su que son père lui donnait à nouveau ordre et conseil de ne changer ni ses collaborateurs fidèles ni ses officiers. Enfin, quand le souverain a murmuré : « Dieu… n’oubliez pas… », Charles a retrouvé un précepte appris par cœur dès la première enfance : « N’oubliez pas, mon fils, les obligations que vous avez à Dieu. »
    À présent, Louis, immobile dans son manteau royal, se souvient de ce tête-à-tête inespéré, de cet entretien qui sera peut-être le dernier avec l’héritier de France. Alors, son émotion le conduit à prier : « Seigneur, protégez mon fils, le nouveau roi. Il n’a que treize ans. Gardez-le de ses ennemis, des félons et du mal. Voyez, je ne suis plus rien. Sans couronne, je m’abandonne à vous. »
    Mais, quand on connaît Louis XI, on ne saurait concevoir de sa part un abandon absolu. En adoration devant Dieu et guéri, semble-t-il, de toute rapacité de vivre, peut-être nourrit-il encore certaine volonté d’agir. Certes, il prétend s’éteindre et l’accepter, le souhaiter même. On dirait cependant qu’il attache une curiosité intense à ce débris de force et de lumière qui tremble en lui. Pétrifié dans son lit, à demi sourd, presque muet, il n’oublie pas sa fierté de roi, conscient d’avoir encore des décisions à prendre et des ordres à donner. Ainsi, ce matin, après confesse, il a signifié à Pierre de Beaujeu de gagner Amboise afin de veiller étroitement sur Charles en cette période critique. Puis, à son chancelier, Guillaume de Rochefort, il a commandé de porter au dauphin le grand sceau de France.
    Un bruit le gêne en ce moment. Ce n’était qu’un murmure et voilà qu’il enfle à présent, cogne contre l’oreille, met le désordre dans la tête. Louis sent la menace d’une eau qui monte à gros bouillons. Est-ce un accident comme l’autre jour, la rupture d’un nerf sous la tempe gauche, ou bien, tout simplement, un caprice de la mémoire, un souvenir qui s’impose ? Oui, il s’agit d’un souvenir : celui de la Loire en crue. Louis revoit le fleuve en fureur qui emporte des talus, renverse des chaumières, roule devant lui de la paille, des moutons, des arbres entiers. La masse aveugle s’avance vers une statue dressée sur un tertre et Louis reconnaît les traits de son fils gravés dans la pierre qui devient aussitôt de l’argile. Et l’eau engloutit le socle, en forme un nuage de boue, puis s’attaque aux pieds de la statue, ronge les jambes, le ventre. Louis veut hurler pour arrêter le sacrilège car Charles vient d’être sacré roi de France, mais l’eau emplit sa bouche. Il réussit tout de même à dire : « Non ! » Autour du lit, on se penche, on s’émeut. Jacques Coitier lui demande s’il désire boire. Louis répète : « Non ! » Sa mémoire flotte, éparpille le présent, le passé, l’avenir, confond les événements et les appréhensions, les angoisses et les idées. Il a le sentiment insane que l’eau pénètre en lui par l’oreille et veut prendre la place de son âme, veut détruire dans sa tête tout ce qui demeure ferme, tout ce qu’il a construit. Alors, il tient bon, il lutte contre le délire qui l’affecte et dont il a conscience, sans parvenir à le vaincre. Ainsi, le voilà maintenant en Dauphiné. Il a vingt-quatre ans et les montagnes fument après la pluie, dégagent une vapeur translucide qui donne du courage. Il écoute sonner à toute volée les cloches de Saint-Claude, puis, à l’autre bout de la province, celles de Notre-Dame-d’Embrun. L’eau monte à nouveau dans sa tête et les images se troublent, deviennent folles. Son père dont la couronne vacille sur le crâne lui tend le bras et lui dit : « Tu ne te souviens pas de moi ? Je suis ton

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