Le fantôme de la rue Royale
l’extérieur. Le commissaire décida d’accomplir une opération dont l’idée avait germé lors qu’il s’était rendu compte qu’il était libre de ses mouvements dans une maison où Naganda était enfermé dans sa soupente et la Miette sans conscience sur sa couche. Jamais pareille occasion ne se représenterait de chercher des indices. Il décida de commencer sa perquisition par la chambre du couple Galaine.
Elle était ouverte. Le lit, sous un ciel de velours d’Utrecht poussiéreux, était défait ; des vêtements de nuit en désordre gisaient épars sur la courte-pointe. Deux bergères garnies du même tissu, un tapis usé, un guéridon portant une carafe d’eau et deux gobelets d’argent, et une armoire dont la haute silhouette touchait presque les solives en constituaient le décor suranné et quelque peu austère. Seule concession aux modes du temps, un petit secrétaire en bois de citronnier détonnait, par sa splendeur, dans cet ensemble vieillot. Nicolas était toujours surpris par la visite des intérieurs. Après dix ans de carrière, d’innombrables perquisitions lui offraient un catalogue complet de modèles qu’il parvenait maintenant à ordonner et classifier, mais qui ne correspondaient pas toujours aux caractères ou aux situations.
Nicolas s’attela à sa tâche avec la détermination méthodique d’un chasseur en traque. Il s’attaqua d’abord au secrétaire. Rien n’était clos ; les tiroirs et l’écritoire coulissante contenaient des papiers de commerce, factures et correspondances. Il y trouva aussi des bijoux de femme, des parures et des boucles de souliers d’homme. Rien d’intéressant. Le commissaire caressait le bois précieux tout en réfléchissant. Il finit par sortir un tiroir et plongea le bras dans le cœur du meuble. Il tâtonna longuement et sentit sous ses doigts une petite pièce de bois articulée. Il la manipula avec précaution, un double déclic se fit entendre, deux garnitures étroites en colonnes, à l’arrière de l’écritoire, s’ouvrirent, laissant jaillir deux petits tiroirs oblongs. L’un contenait quelques louis d’or, l’autre symétrique, une lettre au cachet rompu représentant deux castors accolés par leur queue, enseigne de la maison de pelleterie familiale.
Il s’en saisit, le cœur battant. Deux impressions se combattaient en lui : la curiosité propre à son état et le scrupule de l’honnête homme conduit à plonger dans le secret des familles. La frontière franchie, rien ne permettait de revenir en arrière et toute innocence s’évanouissait. Il s’assit dans une des bergères et déploya la lettre. Son émotion était telle que les caractères dansaient devant ses yeux et qu’il ne parvenait pas à se concentrer sur les lignes d’une petite écriture pointue mais volontaire, dont l’encre commençait à pâlir avec le temps.
Louisbourg, ce 5 décembre 1750
Mon frère,
L’annonce de la mort de notre père me fait mesurer le malheur d’être éloigné de sa famille et de n’y pouvoir compter désormais que sur la froideur d’un frère dont rien ne justifie l’hostilité constante qu’il m’a toujours manifestée. Je souhaite que le temps aplanisse un différend que je n’ai jamais voulu et qu’il ne m’est pas possible d’évoquer sans une sensible peine.
Cela étant, je dois vous annoncer mon mariage et la naissance de mon premier né. C’est une fille qui porte le second prénom de notre mère, Élodie. Quel que soit notre éloignement, moi, en Nouvelle-France et vous si distant et si peu soucieux de sentiments fraternels, je vous confie votre nièce si la guerre qui s’aggrave venait à nous emporter, mon épouse et moi. Un jeune Indien recueilli, Naganda, élevé dans mes factoreries et qui a toute ma confiance, a reçu mes instructions afin de tout tenter pour reconduire notre fille en France.
Les dernières années ont été fructueuses et vous avez eu votre large part de notre négoce et de son succès. Sachez que je laisserai, d’une manière ou d’une autre, traces de mes volontés dernières. Notre notaire en sera informé, au cas ou je devrais périr dans les événements qui s’annoncent.
Embrassez nos sœurs. N’oubliez pas que je vous confie Élodie. Votre malgré tout très affectionné frère.
Claude
Nicolas recopia soigneusement le texte dans son petit carnet noir, replia la lettre avec soin avant de la réinsérer dans le tiroir secret. Il repoussa tout le
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