Le fantôme de la rue Royale
système dans le placage de bois précieux, replaça le grand tiroir dans son réceptacle et referma le secrétaire. La suite de ses recherches se révéla infructueuse. Successivement, la chambre d’Élodie —curieusement vidée de tout objet intime ou personnel — et celle de Jean, le fils aîné, n’apportèrent pas de résultats tangibles. Dans la chambrette de Geneviève, Nicolas découvrit, au milieu de poupées, une feuille de papier chiffonnée sur laquelle une main malhabile avait dessiné une scène étrange. Deux personnages vêtus d’une grande cape et d’un haut chapeau, l’un serrant une sorte de mannequin et l’autre tenant une pelle, paraissaient danser une espèce de gigue. Pour le coup, il serra cet étrange tableau dans son habit. L’homme deux fois représenté était-il Naganda ? Tout le laissait penser.
Il acheva son inspection par la chambre commune des sœurs Galaine. Deux lits rapprochés n’en formaient qu’un, occupant presque tout l’espace d’une pièce encombrée d’objets de piété, de deux prie-Dieu et de tableaux à motifs religieux. Outre une petite commode, une sorte d’alcôve servait de cabinet de toilette, le linge et les vêtements étant rangés dans des placards creusés dans la masse du mur. Çà et là, des oiseaux naturalisés demeuraient figés en des pauses fatiguées et ajoutaient une note sinistre et poussiéreuse à cet ensemble ranci.
Soudain Nicolas entendit craquer le parquet du corridor. Qui pouvait bien arriver ? Il supposa que la Miette s’était réveillée et levée, mais le bruit de pas approchait et les intervalles séparant les craquements indiquaient plutôt les pauses d’une très prudente progression. Son premier réflexe fut de chercher autour de lui une cachette. Le placard aux robes ? Certainement pas : le refuge le plus classique était toujours le plus risqué. La cheminée ? Beaucoup trop étroite pour s’y dissimuler. Ce qu’il entrevit en un éclair, ce fut le dessous des deux lits et le tissu de perse fané qui tombait jusqu’au parquet. Il s’y glissa prestement, et se tenait désormais à plat ventre, son dos touchant les bois du lit. Sa respiration déjà accélérée par l’émotion se trouvait encore gênée par une masse de tissu sur laquelle il reposait. Le bruit de pas n’avait pas repris. Le sang qui battait à ses oreilles l’assourdissait. À quelques pouces de son visage, il découvrit une colonne de minuscules fourmis que les tissus semblaient attirer. Beaucoup de maisons, en plus des rats, de la vermine et des puces, étaient fréquentées l’été par ces insectes.
Le bruit reprit, plus proche, très proche… Dans son champ de vision autorisé par les ondulations du tissu, Nicolas vit apparaître deux pieds nus et bruns qui avançaient avec précaution. Ce ne pouvait être que Naganda ; et il devina que le visiteur se livrait lui aussi à une fouille en règle de la chambre. Aurait-il l’idée de regarder sous les lits ? Nicolas frémit quand il le vit s’approcher sur la droite. Le dessus-de-lit remonta, on fouillait brutalement la literie, puis un peu de jour apparut par les crailles du bois : on avait soulevé le matelas. L’Indien piétina encore longtemps dans la pièce, puis finit par s’éloigner. Nicolas attendit un moment que le silence revînt à l’étage. M. Galaine enfermait Naganda, mais oubliait que l’Indien s’était déjà échappé par le châssis du toit et que rien ne lui interdisait de recommencer. Une porte ou une fenêtre mal fermée lui permettait de pénétrer dans la maison. Que pouvait-il chercher, sinon ce fameux talisman, cette pièce secrète accrochée à son cou, dont la perte l’obsédait et dont une perle s’était retrouvée dans la main crispée du cadavre d’Élodie ?
Nicolas espérait que ses propres recherches aboutiraient à quelque chose, même après le passage de Naganda. Il s’y astreignit avec toute la technique d’un professionnel, ce que n’était pas l’Indien. Bien lui en prit, car, en passant la main sous le dessous du tiroir de la commode, il sentit un petit papier légèrement collé par un pain à cacheter. Il le détacha délicatement et lut ce banal billet.
N o 8
Reçu en gage un lot pour une valeur remboursable de dix huit livres, cinq sols, six derniers.
À échéance d’un mois. Ce trente et unième de mai 1770.
Signé : Robillard Fripier, rue du Faubourg du Temple
Un prêteur sur gages ? Un usurier ? Un
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