Le Fils de Pardaillan
qu’elle était tombée dans un traquenard. Elle se jeta à corps perdu sur cette porte. Trop tard. La clé grinçait dans la serrure. Elle vit une fenêtre. Elle y courut et l’ouvrit. Elle était garnie d’épais barreaux. Elle cria, appela de toutes ses forces. Nul ne répondit à ses appels. C’était une fille de tête. Elle comprit qu’au milieu de cette enceinte, elle ne pouvait être entendue que par des religieuses, lesquelles ayant des instructions en conséquence, se garderaient bien de lui répondre. Et elle se tut.
L’homme avait suivi les deux femmes jusqu’à l’entrée de l’abbaye. Longtemps il resta devant la porte, espérant voir reparaître celle qu’il avait suivie. La nuit vint et la jeune fille ne sortit pas. L’homme se décida à rentrer dans Paris. En s’éloignant, il grommelait :
– Puisqu’elle ne sort pas, c’est que, sans doute, elle a cherché un refuge dans ce couvent. C’est une brave et honnête fille, elle s’est sentie menacée : elle se met hors d’atteinte. Elle a bien fait !… (Il soupira.) Je ne la verrai plus ! Qu’importe, après tout !… L’essentiel est qu’elle échappe à la poursuite du loup couronné !… C’est Jehan le Brave qui va être malheureux !… Bah ! il fera comme moi, il se résignera.
Il marchait à grandes enjambées. La nuit tombait lentement. On voyait au bas de la montagne, là-bas, aux maisons de la ville, les fenêtres s’éclairer une à une, semblable à des yeux lumineux ouverts sur la nuit.
Il était revenu au carrefour. La croix, dans l’ombre croissante, dressa devant lui ses longs bras de fer, comme pour lui barrer le passage.
Une force mystérieuse l’arrêta. Il leva les yeux et la contempla un moment d’un air illuminé. Puis ses traits prirent une expression de désespoir farouche, un sanglot déchira ses lèvres et brusquement, lourdement, il tomba sur les genoux. Il se frappa la poitrine à grands coups qui résonnaient sourdement. On eût dit qu’il voulait se briser le cœur. Et il râla :
– Jean-François ! Jean-François ! pourquoi te réjouis-tu du malheur de l’homme qui a eu pitié de toi ?… De l’homme qui t’a tendu une main secourable, qui t’a nourri quand tu mourais de faim, qui t’a parlé doucement et t’a réconforté !… Pourquoi te réjouis-tu, Ravaillac ?… C’est parce que tu sais que celui-là est aimé… et toi, tu ne le seras jamais !… Tu te disais, tu te criais bien haut : « Tu ne peux être aimé, Jean-François, tu sais bien que tes jours sont comptés… le bourreau a déjà la main sur toi. » Hypocrisie ! Ravaillac, hypocrisie !… Au fond, tu espérais que ce miracle s’accomplirait : que tu serais aimé d
’elle,
toi, le damné, le maudit !… Tu disais : « Lui seul est digne d’être aimé, parce qu’il est bon, brave et généreux. Devant lui, je puis, je dois m’effacer… puisque je suis condamné, moi ! » Hypocrisie !… Ravaillac, tu es un hypocrite, un fourbe, un menteur comme l’autre, l’hérétique, le loup couronné !… Tu es jaloux, Jean-François, jaloux de ton bienfaiteur, ton cœur déborde de fiel… Et tu oses t’ériger en justicier !…
Il se meurtrit le front sur la pierre et implora :
– Seigneur ! Seigneur ! ayez pitié de moi !… Inspirez-moi ! Secourez-moi !… Chassez le démon qui me tourmente.
Il demeura longtemps prosterné, priant de toute son âme, sanglotant, hurlant sa peine et sa folie. Peu à peu, le calme descendit en lui, il se redressa, partit d’un pas chancelant, se perdit dans les ténèbres, ombre tragique que la fatalité conduisait par la main.
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Chapitre 31
E n sortant de la petite maison de Concini, Saêtta se demanda ce qu’il allait faire.
– Voilà, se disait-il en marchant, Jehan, par suite de circonstances heureuses que j’ignore, a-t-il réussi à s’échapper ? Ou bien, suis-je arrivé trop tard : Concini l’ayant frappé et s’étant débarrassé du cadavre ? Toute la question est là. Libre, Jehan rentrera chez lui. Donc, je dois aller l’attendre là. Et si Concini m’a ravi ma vengeance… (il grinça des dents), je crois que la signora pourra préparer ses vêtements de veuve.
Sa résolution prise, il quitta son allure indécise et s’achemina vers le logis de Jehan, chez lequel il monta délibérément.
Escargasse ne l’avait pas perdu de vue. Quand il le vit s’engouffrer dans l’allée, il jugea sa mission terminée. Il
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