Le Fils de Pardaillan
couteau et l’abattit en un geste foudroyant. Un cri déchirant suivit presque immédiatement le geste de mort.
Ceci, c’était ce que l’homme de Concini avait vu et qu’il s’était hâté d’aller rapporter à son maître.
Voici ce qu’il aurait vu, s’il s’était moins pressé.
Le poing de Ravaillac fut saisi au passage par une main de fer qui l’immobilisa sans effort. En même temps, une voix très calme disait sur un ton de douloureux reproche :
– Comment, Jean-François, tu me veux meurtrir ?…
Et c’était Ravaillac qui, stupide d’horreur, en reconnaissant Jehan le Brave qui lui parlait ainsi, avait poussé ce cri terrible que l’homme aux aguets avait pris pour le cri de la victime qu’on égorge.
Dans le carrosse royal où son buste demeurait engagé, Ravaillac, de ses yeux égarés, cherchait vainement celui qu’il avait voulu frapper : le roi, qui ne s’y trouvait pas.
Il n’y avait là que Pardaillan, dont la main comme un étau, s’était abattue sur le poignet de l’assassin et le maintenait rudement, Jehan le Brave, qui le regardait fixement, sans faire un mouvement, et enfin Escargasse qui, avec son accent provençal, venait de lancer ce : « Ventre-saint-gris ! », destiné à faire croire à la présence du roi.
– Monsieur Jehan le Brave ! hoqueta Ravaillac. Je suis maudit !
Il demeurait là, pétrifié, hagard, regardant Jehan avec des yeux de fou. Pardaillan le lâcha, sûr qu’il ne chercherait pas à se sauver. Et, en effet, il ne bougea pas.
A ce moment, les deux cavaliers que Saêtta avait pris pour Jehan et son père, s’arrêtèrent près du carrosse. Gringaille et Carcagne, affublés des manteaux et des chapeaux de Pardaillan et de Jehan, mirent pied à terre.
– Chef, informa Gringaille, les archers nous suivent ! Ils seront ici avant un quart d’heure !
Jehan répondit par un signe de tête. Il ouvrit la portière et ils descendirent tous les trois.
Ravaillac recula devant eux, mais ne chercha pas à fuir. Il vivait une minute d’affolement terrible. Avec un morne désespoir, il répéta :
– C’est la deuxième fois que je lève le couteau sur mon bienfaiteur !… La malédiction est sur moi !…
– C’est donc ma mort que tu veux ? demanda Jehan. Ravaillac ouvrit des yeux de plus en plus égarés. Il ne comprenait pas. Mais il eut un geste de protestation d’une évidente sincérité. Doucement, Jehan expliqua :
– Une fois déjà tu as voulu frapper le roi… Et le grand prévôt est arrivé pour m’arrêter, moi. Aujourd’hui, tu as recommencé. Ecoute… Entends-tu cette galopade enragée ?… C’est le grand prévôt qui accourt encore pour me saisir et me livrer au bourreau… Parce que les gens qui te poussent, malheureux, ont décidé que c’est moi qui payerai ton forfait. En sorte que si tu recommences, si tu réussis enfin, c’est moi que tu frapperas à mort par contre-coup.
– Oh ! râla Ravaillac, est-ce possible ?… Mais je parlerai… Je dirai…
– Tu diras la vérité, interrompit Jehan avec rudesse. Soit. Tu seras saisi, jeté dans quelque oubliette… Et tu ne me sauveras pas pour cela.
Et plus doucement, il ajouta :
– Le seul moyen de me sauver est de renoncer à l’abominable meurtre que tu médites. Jusqu’ici tu ne savais pas. Maintenant, te voilà averti et je te demande : que vas-tu faire, Ravaillac ?… Vas-tu t’obstiner ?… Pour satisfaire ton homicide folie, voueras-tu à l’effroyable supplice des régicides l’homme qui t’a sauvé la vie et fut toujours bon pour toi ? Parle !
Ravaillac laissa tomber sa tête sur sa poitrine en répétant machinalement :
– La malédiction est sur moi !…
Un combat poignant semblait se livrer en lui. Evidemment l’idée que son bienfaiteur pouvait payer de sa vie son crime, à lui, Ravaillac, lui était insupportable. Mais renoncer à son projet, n’était-ce pas se vouer aux flammes éternelles ? Telle était la redoutable question qu’il se posait.
Et comme l’impression produite en lui par sa vision récente était encore trop fraîche pour s’être dissipée, ou simplement atténuée, il la résolut par l’affirmative. Pardaillan et Jehan, qui suivaient avec étonnement les phases de cette lutte qu’ils ne pouvaient comprendre, l’entendirent murmurer, avec quelle terreur :
– C’est la damnation !… La damnation éternelle… quoi que je fasse !… Alors ?…
Enfin, il redressa la
Weitere Kostenlose Bücher