Le guérisseur et la mort
nous traiter ainsi ? demanda Rubèn avec un intérêt supérieur à celui qu’il avait manifesté à chaque étape de leur périple.
— Nullement… répliqua Aaron en adressant un regard désapprobateur au jeune homme.
L’attitude du serviteur de Mordecai envers le parent de son maître amusait énormément Daniel.
— Mais c’est un homme bon et hospitalier.
Aaron mit pied à terre, décrocha les sacoches de la mule et les emporta vers la maison de maître Antoni.
Quand la servante les eut fait entrer dans la salle, maître Antoni se planta devant la porte de son cabinet. Puis il fit un pas et leur adressa un sourire radieux. C’était un gros homme qui respirait la puissance ; ses cheveux avaient été blanchis par le soleil et sa peau était aussi hâlée que celle d’un marin.
— Aaron ! Comme je suis heureux de te voir ! Mais qui sont ces deux gentilshommes que tu amènes avec toi ?
— Je m’appelle Daniel et je suis le neveu d’Éphraïm, gantier à Gérone, dit le jeune homme en s’inclinant. Très pris par ses affaires, mon oncle m’a prié de venir voir les nouvelles marchandises dont vous lui avez signalé l’arrivée.
— Vous êtes le bienvenu, Daniel. Votre oncle m’a parlé de vous en termes très élogieux. Et ce jeune homme ?
— Voici Rubèn, un parent de Mordecai le bottier. Nous avons eu la chance qu’il fût notre compagnon de voyage.
— Je suis porteur de lettres de la part de maître Mordecai, dit le serviteur. Des lettres qui précisent ses demandes et présentent le jeune maître.
— Merci, Aaron. Vous arrivez au bon moment. Vous voudrez certainement déjeuner avec moi. Ma cuisinière a préparé des mets en abondance et je suis certain que vous trouverez sur la table quelque chose qui corresponde à vos goûts.
— Je crois que nous sommes attendus par maître Benjuha, dit Daniel.
— Il pleut à présent, et maître Benjuha se tient près du feu car il a pris froid. J’enverrai un message pour lui faire savoir que vous déjeunez ici.
— Merci.
— Bien. Je propose à présent que vous vous débarrassiez de la poussière de la route et que vous vous rafraîchissiez tandis que je lis ces lettres. Ensuite, nous nous rendrons à l’entrepôt voir les marchandises.
II
Per molt amor ma vida és en dubte Par moult amour ma vie est en péril
— Et quelle est selon toi la racine de son mal ? demanda le médecin Isaac à sa fille.
Ils marchaient dans les rues du Call, le quartier juif de Gérone, et se dirigeaient d’un pas lent vers leur demeure. Il avait posé la main sur l’épaule de Raquel afin qu’elle le guidât, même si, dans un environnement aussi familier, il n’en avait nul besoin.
— La racine ? s’étonna-t-elle. Dans pareil cas, ne devrions-nous pas traiter les symptômes avant de nous préoccuper des causes ?
— Tu as on ne peut plus raison de m’opposer une objection, dit son père en riant, mais cela ne signifie pas que la racine doive être négligée. En outre, Regina a presque le même âge que toi et tes réflexions à ce propos m’intéressent.
— Je n’ai pas vraiment réfléchi, papa. Elle est tombée amoureuse du jeune Marc alors qu’elle sortait à peine de l’enfance, et voici qu’il l’abandonne. Elle est au désespoir, et la vie ou la mort lui importent peu.
Raquel tira sur le portail de la maison et constata qu’il était fermé à clef.
— Puisque Ibrahim tient tant à verrouiller cette porte quand nous sommes dehors, il devrait au moins se tenir à proximité, lança-t-elle. Ibrahim ! Ouvre cette porte !
— Et quel est le remède ? lui demanda son père une fois que le portier et intendant de la maison, Ibrahim, eut accouru remplir son devoir.
Le soleil d’octobre déversait une timide chaleur dans la cour comme pour repousser l’approche de l’hiver. La table du dîner était dressée dans un coin ensoleillé et la famille y était déjà rassemblée.
— La maîtresse attend pour dîner, maître Isaac, dit Ibrahim d’un ton réprobateur.
— Si tôt, maman ? s’étonna Raquel.
— Nous profitons du soleil tant qu’il est encore là. Maîtresse Dolsa m’a dit qu’il fallait s’attendre à un orage.
— Je crois qu’Ibrahim veut nous faire comprendre que nous l’empêchons de dîner, oui, affirma Isaac. Il peut disposer, mais que suggères-tu ? demanda-t-il à sa fille.
— Nous devons la faire boire et manger afin qu’elle se sente mieux, puis la
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