Le guérisseur et la mort

bien. Puis-je vous en lire une partie, mon ami ? J’aimerais connaître votre opinion avant d’y répondre.
    — Certainement, dit Isaac. Cela m’intéresse beaucoup.
    — Voici ce qu’elle dit : « Vos nouvelles m’ont troublée, car je crains que mon silence n’ait permis à Josep de nuire à ce malheureux. » Je crois que si Perla avait connu toute l’histoire, elle n’aurait pas dit ça, ajouta Mordecai. Je ne lui ai mentionné que le meurtre de maître Narcís. Je pense que ce fut une gentillesse déplacée de ma part.
    — C’est possible, mais je comprends vos raisons.
    — La lettre se poursuit ainsi : « Sara se serait vu épargner bien des tourments. J’ai pleuré le gentil garçon que j’ai connu et aimé, mais Sara a été accablée de douleur en apprenant le procès et la mort de son fils. Du moins ses tourments ne furent-ils pas bien longs. »
    — Qu’entend-elle par là ?
    — « Moins d’une semaine après avoir reçu cette nouvelle, on retrouva le corps de Sara au pied des remparts. Nul ne sait si elle s’est jetée dans le vide par désespoir, si elle a trébuché par inadvertance – elle sentait fortement le vin, hélas – ou si on l’a poussée. Peu importe, nul ne s’intéressera à la mort d’une blanchisseuse, et me voici donc seule pour pleurer la belle Sara que je connaissais.
    « Je suis également très troublée parce que, peu avant l’arrivée de votre lettre, elle m’a demandé une énorme somme d’argent – mille pièces ! – pour rembourser, paraît-il, un ami qui la lui avait prêtée et se faisait menaçant. Elle m’a juré que c’était pour une durée très brève parce qu’elle espérait en recevoir encore plus de la part de Josep, lequel se comportait fort bien dans son nouvel emploi. Je lui avais donné plusieurs fois de l’argent au fil des années, sans être jamais remboursée, et cette fois-ci je refusai. C’était trop et je craignais que cela n’allât dans la poche de Josep. Aujourd’hui, je me demande si elle devait cette somme pour de bon et si elle était véritablement menacée. Elle avait des amis assez grossiers, qui auraient très bien pu se venger de la sorte.
    « Peu importe la façon dont je considère cette affaire, je vois bien que je me suis trompée. Si vous pouviez avoir la générosité de m’écrire, ce me serait d’un grand réconfort. » Voilà tout ce qu’elle dit de Josep et de Sara. Qu’en pensez-vous ?
    — Ce que je pense, Mordecai ? Je crois que ces mille pièces ont payé les divers trajets de son fils entre Majorque et d’autres lieux. Je dois avouer que ce problème m’intriguait.
    — Elles ont dû également servir à acheter les habits que se doit de porter un homme de qualité, ajouta Mordecai.
    — Sans aucun doute. Mais si j’étais vous, Mordecai, j’enverrais à maîtresse Perla une réponse pleine d’amabilités.

NOTE DE L’AUTEUR
    Toutes les têtes de chapitre sont tirées de l’œuvre du poète catalan Ausiàs March (Gandie v. 1397 - Valence 1459).

SUR L’AUTEUR
    Caroline Roe, pseudonyme de Medora Sale, est née à Windsor, au Canada, et a vécu à Washington, Ottawa et Detroit avant de s’installer à Toronto. Elle est titulaire d’un doctorat en études médiévales de l’université de Toronto. Professeur, traductrice, écrivain, elle fait ses débuts en littérature en 1986. La même année, elle reçoit l’Arthur Ellis Award du Meilleur premier roman policier pour Murder on the Run, premier volet de la série John Sanders et Harriet Jeffries, qu’elle signe de son vrai nom. Découvrant par hasard l’existence de l’évêque Berenguer de Gérone et celle de son médecin juif Isaac dans l’Espagne médiévale, elle s’en inspire pour débuter en 1998 la série des Chroniques d’Isaac de Gérone. Le Glaive de l’archange fut pressenti à la fois pour l’Anthony Award aux États-Unis et pour l’Arthur Ellis Award au Canada. En 1999, Caroline Roe obtient le Barry Award du Meilleur livre policier pour Antidote à l’avarice.

QUATRIÈME DE COUVERTURE
    Alors qu’Isaac veille l’évêque de Gérone, pris d’une forte fièvre, un homme victime d’empoisonnement demande à le voir d’urgence. Il aura juste le temps avant de mourir de les mettre en garde contre une traîtrise, sans trouver néanmoins la force de leur livrer plus de détails. Au même moment, dans le port de la ville de Sant Feliu de Guíxols qui subit l’attaque d’un groupe de