Le Pacte des assassins
ces appels contre l’arme atomique qu’on
fait signer et qui ne sont, pour Staline, qu’un moyen de compenser pour l’heure
son infériorité militaire.
Il s’est créé un bouclier humain avec la
générosité des crédules.
Mais comment pourrais-je croire, moi, aux
discours pacifistes d’un Alfred Berger qui, en France, a pris la tête des partisans
de la Paix ?
Mise en scène, manipulation.
Et cependant Berger entraîne des foules de
militants désintéressés qui brandissent des pancartes où, sous une colombe
dessinée par Picasso, on stigmatise un général américain, “Ridgway la Peste !”
Pourquoi cet aveuglement ?
Comme si la folie et le Mal attiraient, comme
si les hommes avaient besoin d’être dupés ! Comme s’ils portaient en eux
cette folie, ce Mal !
« Et lorsque un
homme, une idéologie, un système les expriment avec cruauté, ils fascinent, on
les suit.
Comme si mieux valait le nazisme et le
communisme que la démocratie ! »
Julia va jusqu’à
écrire au mois de décembre 1950 :
« La chanson du
Mal nous entraîne, nous fait marcher au pas cadencé. Le Mal nous effraie, mais
notre soumission ne vient pas seulement de la peur qu’il nous inspire. Une part
de nous se contemple, se reconnaît, se complaît en lui.
Il a la force d’attraction de la puissance
maléfique.
Et ceux des hommes – le plus grand nombre – qui
ont peur de mourir imaginent que les tueurs, eux, sont immortels. »
48.
Julia ne craignait pas la mort.
Elle avait souvent vu, dans les camps de
Karaganda et de Ravensbrück, l’effroi, la panique révulser les yeux de ses
camarades qui savaient qu’elles allaient mourir.
Elle avait lutté contre la contagion de la
peur.
Elle n’avait jamais abandonné les agonisantes,
serrant leurs mains, humectant leurs lèvres, caressant leur visage, priant avec
elles, retenant autant qu’elle pouvait la vie qui s’enfuyait.
Et parfois elle avait arraché aux mains
crochues de la mort l’une de ces femmes.
Elle avait ainsi sauvé Isabelle Ripert.
Mais la mort était presque toujours la plus
forte.
Et quand le corps s’était raidi, que le front
était devenu aussi froid que la pierre, Julia faisait le serment que la Camarde
ne l’effraierait jamais.
Elle murmurait : « Qui sait mourir
ne sait plus être esclave. »
Elle voulait rester fidèle à ces mots de
Sénèque.
Elle avait raconté ce tête-à-tête avec la mort
à Arthur Orwett et, la serrant contre lui, il lui avait murmuré qu’elle avait
été héroïque. Elle avait hésité avant de lui répondre que ce mot, flatteur,
elle le récusait.
Elle avait seulement décidé de ne pas trembler
quand la mort – cela viendrait vite – s’avancerait vers elle.
Elle voulait faire de la Camarde une alliée. Car
il fallait que la vie, que la conscience, que l’humain plient la mort à la vie.
À Karaganda, à Ravensbrück, elle avait vu des
déportées choisir le trépas pour rester dignes, ne pas laisser leur mort aux
mains des bourreaux, la retourner contre eux en se pendant ou en se précipitant
contre l’enceinte électrifiée du camp.
Ces femmes avaient agi librement. Elles
avaient fait de la mort une arme. Elles avaient dépossédé les tueurs de leur
privilège, de la crainte et de la fascination qu’ils suscitaient en détenant le
pouvoir de tuer.
Ces suicides les avaient rendus vulnérables. Ils
n’étaient donc pas immortels.
Julia avait confié à Arthur Orwett :
— La mort nous débarrassera aussi du Loup.
Elle ira le chercher au fond de sa tanière. Il crèvera comme n’importe quel
homme. Et personne ne lui tiendra la main.
Et le 5 mars 1953, alors
qu’elle se trouvait à Paris où elle attendait Arthur Orwett qui terminait un
reportage en République démocratique allemande, elle avait entendu sur les
boulevards, à hauteur du métro Bonne Nouvelle – la coïncidence l’avait rendue
euphorique – les vendeurs de journaux crier : « Édition spéciale !
Staline est mort ! »
Elle avait acheté L’Humanité.
Un portrait de
Staline encadré de noir, en uniforme de maréchal, occupait toute la première
page : « Notre camarade Staline est mort », titrait le quotidien.
Comme si Staline avait eu des camarades !
Il avait ordonné la mort de ses plus proches
et de ses plus anciens compagnons, persécutant souvent leurs femmes. Ainsi, la
femme de Molotov, Polina Molotova, parce qu’elle était juive et avait murmuré
que le comédien Mikhoëls
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