Le peuple du vent
placés derrière Jehan.
— Maître Jehan, reprit Hugues, auriez-vous l’obligeance d’ôter vos vêtements ?
— Non, non, ce n’est pas moi !
— Capitaine !
Les hommes d’armes et le capitaine saisirent Jehan, lui arrachant sa tunique, mettant au jour une vilaine balafre aux lèvres encore rougies. L’homme ne se débattait plus, il était pitoyable et jetait autour de lui des regards de bête traquée.
— Voici donc le premier de nos agresseurs. Il nous reste à trouver le second. Qui pouvait avoir intérêt à la mort de Serlon de Pirou ? Qui pouvait le haïr assez ? Qui...
Sigrid avait dégainé son poignard et, d’un bond, en avait posé le fil sur la gorge de Tancrède.
— Ne le touchez pas ! s’écria Hugues.
— Reculez tous ! hurla Sigrid qui voyait le capitaine d’armes porter sa main à la garde de son épée. Reculez ou je l’égorgé !
61
Le silence était retombé, Sigrid maintenait Tancrède devant elle comme un bouclier.
— Lâche-le ! jeta la voix éraillée de Serlon. Il n’est pour rien dans tout cela.
— C’est vrai, le seul vrai coupable, c’est toi ! Tu n’as jamais su voir en moi l’héritier que j’aurais pu être. Tu n’as jamais compris. Tu me haïssais pour la mort d’Osvald.
— Tu l’as tué, n’est-ce pas ? fit la voix douloureuse du sire de Pirou.
— Non, je ne l’ai pas tué. Cette fois-là, il a voulu être le plus fort et me battre. On passait notre temps à nous défier. Et bien souvent, c’est moi qui gagnais. Il savait que je détestais l’océan et que je ne savais pas nager. La mer était forte ce jour-là, et le vent soufflait du nord comme en ce moment. Il s’est déshabillé en riant et a couru vers les vagues. Je lui ai crié de revenir. Après, je ne sais pas ce qui s’est passé. Une première vague l’a submergé. Il a réapparu, mais une deuxième l’a frappé de plein fouet et il a disparu. La mer était-elle trop glacée ? Avait-il été assommé ? Je ne sais, je suis même entrée dans les flots en l’appelant, et sans doute, ce jour-là, serais-je morte aussi, si celui-là (elle désigna Jehan) ne m’avait sauvée et ramenée vers le rivage. Demandez-lui si cela ne s’est pas passé ainsi.
— C’est vrai, fit le maître d’armes.
— Ensuite, après m’avoir frappée et laissée pour morte sur le sol, tu m’as tant haïe que je ne pouvais faire autrement que de te haïr aussi.
Le silence retomba. Tancrède sentait sur sa gorge le tranchant de sa lame et contre son dos, la chaleur du corps de Sigrid.
Le visage de son maître était livide. Randi ne retenait plus ses larmes. Serlon s’était tu.
— Avance ! ordonna Sigrid. Et n’essayez pas de nous suivre, ou je le tue ! hurla-t-elle en poussant Tancrède vers la sortie.
— La nuit va tomber, ajouta-t-elle en se tournant vers Serlon. Je te demande de m’accorder jusqu’à l’aube pour lancer tes hommes à ma poursuite.
Serlon la foudroya du regard et grommela :
— À l’aube, je lâcherai mes chiens !
La porte claqua, ils étaient dans la cour.
— Les écuries ! ordonna-t-elle en donnant une bourrade à Tancrède.
Quelques instants plus tard, ils étaient dans les stalles où s’agitaient les destriers. L’odeur de la paille et des bêtes leur montait aux narines. Cette odeur que le jeune homme aimait tant et qui pourtant, en cet instant, lui donnait la nausée.
— Selle ma jument ! s’écria-t-elle. Vite !
Une terrible désespérance enrouait sa voix. Il la regarda, tout en jetant la selle en travers de la monture, ne pouvant s’empêcher de la trouver belle avec ses yeux éperdus, ses cheveux emmêlés et sa peau plus blanche que la cire.
— Que vas-tu faire ?
— Que veux-tu que je fasse ? Tu ne connais pas mon père. Si je reste, il me fera pendre ou, pire, me jettera au cachot jusqu’à la fin de mes jours. Mais que peut te faire ce qui m’arrive, l’étranger ?
— Tu n’as pas le droit...
Elle ne lui laissa pas finir sa phrase. Il sentit la morsure de ses dents sur ses lèvres, le goût du sang. Elle avait sauté en selle, et elle le bouscula du poitrail de sa jument pour sortir.
Quelques instants plus tard, alors que sonnait l’alerte, elle passait la porte de la barbacane et filait vers les dunes.
Hugues accourut. Il ne dit rien, mais serra Tancrède dans ses bras avant de l’entraîner vers le donjon, indifférent à l’agitation qui régnait dans le
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