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Le pianiste

Le pianiste

Titel: Le pianiste Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Wladyslaw Szpilman
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de
journaux à la criée arpentaient les rues avec leurs éditions spéciales, hors d’haleine.
    Pas de panique, cependant. La réaction populaire se
partageait entre l’expectative – et maintenant, quoi ? – et l’étonnement :
alors, c’est ainsi que débute une guerre ?
    Un monsieur grisonnant et rasé de frais était planté devant
l’une des affiches. Son état d’agitation se révélait aux taches rouges qui
parsemaient son visage et à son chapeau qu’il avait repoussé en arrière sur son
crâne, ce qu’il n’aurait certainement jamais fait en temps normal. Il étudiait
mot à mot la déclaration présidentielle en secouant la tête d’un air incrédule
et en rajustant sans cesse son pince-nez. Il a lu un passage à voix haute, d’un
ton indigné : « Ils nous ont attaqués… sans sommation ! »
Guettant d’un regard circulaire la réaction des badauds arrêtés autour de lui, il
s’est exclamé, un doigt levé : « Ah ! ce ne sont pas des
manières, fichtre non ! » Alors qu’il s’éloignait après une dernière
relecture, il murmurait encore, incapable de retrouver son calme : « Ah !
non, c’est trop fort, vraiment ! »
    Je n’habitais pas très loin du bâtiment de la radio mais ce
jour-là le trajet m’a pris deux fois plus de temps que d’habitude. Je n’avais
accompli que la moitié du chemin lorsque le hurlement des sirènes s’est élevé
des haut-parleurs fixés aux réverbères et aux enseignes des magasins. Puis j’ai
reconnu la voix du présentateur de la radio : « Ceci est une alerte
destinée à la ville de Varsovie ! Soyez vigilants ! Sont maintenant
en approche… » Et, là, il s’est mis à réciter une série de lettres et de
chiffres, un code militaire qui sonnait aux oreilles civiles comme des formules
cabalistiques aussi mystérieuses que menaçantes. Les chiffres indiquaient-ils
le nombre d’avions qui s’apprêtaient à fondre sur nous ? Et les lettres, est-ce
qu’elles symbolisaient les quartiers où les bombes allaient tomber ? Et, dans
ce cas, la zone où je me trouvais maintenant était-elle concernée ?
    Les rues se sont vidées rapidement. Les femmes se hâtaient
vers les abris mais les hommes ne voulaient pas descendre, eux, préférant se
masser sous les porches en insultant les Allemands, en faisant étalage de leur
témérité et en maudissant les autorités d’avoir bâclé la mobilisation au point
que seule une petite fraction des citoyens aptes au service se trouvaient sous
les drapeaux, le reste errant d’un centre de mobilisation à l’autre sans
arriver à se faire enrôler malgré toutes leurs supplications.
    Bientôt, le silence des artères désertées n’a été rompu que
par les controverses entre les chefs d’îlot chargés de veiller à ce que tout le
monde soit aux abris et les gens qui s’entêtaient à rester dans les entrées des
immeubles pour une raison ou une autre, ou même qui tentaient de poursuivre
leur route en rasant les murs. Un instant plus tard, les explosions ont repris.
Elles restaient encore assez éloignées, toutefois.
    Quand je suis arrivé à la radio, les sirènes se sont
déclenchées pour la troisième fois. Apparemment, cependant, personne dans le bâtiment
ne se souciait de se hâter vers les abris antiaériens. La programmation était
bouleversée. Dès qu’une émission préparée en urgence commençait, elle était
aussitôt interrompue par quelque nouvelle d’importance, un bulletin du front ou
une déclaration d’ordre diplomatique qui avaient valeur de priorité et qui
étaient chaque fois accompagnés de marches militaires ou d’hymnes patriotiques.
    La même confusion régnait dans les couloirs et les bureaux, où
dominait une atmosphère résolue, joyeusement belliqueuse. Un producteur qui
avait reçu sa feuille de route était venu prendre congé de ses collègues, paradant
dans son uniforme. S’attendant sans doute à une scène d’adieu aussi poignante
qu’édifiante, sa déception devait être grande à constater que personne n’avait
le temps de s’intéresser à lui. Alors il restait là, tentant de retenir un
instant ses camarades de travail qui couraient en tous sens pour les persuader
de diffuser au moins une partie du programme qu’il avait préparé – sous le
titre : « Un citoyen vous dit au revoir » –, afin de pouvoir
peut-être raconter un jour cet exploit à ses petits-enfants. Il ne savait pas que
ses collègues n’auraient

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