Le pianiste
me faut
quelqu’un, c’est urgent !”, a-t-il alors lancé d’un ton impérieux au SS
qui commandait l’escouade. Puis il est monté dans le camion, il a examiné ses
occupants et il a montré Koschel du doigt. Les SS l’ont laissé redescendre avec
lui et il a été sauvé. »
Le monde est petit, décidément. Et plein de surprises. Huit
années après l’effondrement du bloc soviétique, le consul de Pologne à Hambourg
n’est autre que… le fils de Stanislaw Cieciora. Lequel m’a confié un détail
émouvant : même pendant la guerre, par gratitude envers le capitaine, ses
parents ont tenu à envoyer des colis de vivres à la famille Hosenfeld. Des
saucisses et du beurre partis de la Pologne ravagée par la famine pour l’Allemagne
d’Hitler…
Par le truchement de la radio polonaise, Leon Warm allait
entrer en contact avec Wladyslaw Szpilman. Il lui a transmis la liste des
personnes que Wilm Hosenfeld avait sauvées, ainsi que son appel à l’aide
désespéré. C’était il y a près d’un demi-siècle, aujourd’hui.
En 1957, Szpilman réalise une tournée en Allemagne de l’Ouest
avec le grand violoniste Bronislav Gimpel. À cette occasion, les deux musiciens
se rendent à Thalau, où ils rencontrent Annemarie Hosenfeld, la femme du
courageux officier, et leurs deux fils, Helmut et Detlef. À Szpilman, la veuve
confiera la photographie de son mari disparu qui est reproduite dans le présent
ouvrage.
À l’été 1997, alors que la publication en allemand de ce livre
pratiquement tombé dans l’oubli venait d’être décidée et que j’interrogeais le
vieil homme au sujet de Wilm Hosenfeld, il m’a répondu en ces termes :
« Je n’aime pas parler de cela, vous savez… Je n’en ai jamais dit un mot à
quiconque, pas même à ma femme ni à mes deux fils. Pourquoi, me demanderez-vous ?
Parce que j’avais honte, voilà… Voyez-vous, quand j’ai fini par apprendre le
nom de cet officier allemand dans les derniers mois de 1950, j’ai lutté contre
l’appréhension et j’ai surmonté mon dégoût pour accomplir une démarche qui m’était
très pénible. Je suis allé me présenter humblement devant un criminel auquel
aucun homme de bien en Pologne n’aurait voulu adresser la parole : Jakub
Berman.
« C’était le chef du NKVD polonais. La personne la plus
puissante du pays, à l’époque, encore plus influente que le ministre de l’intérieur.
Et un salaud fini, ce que tout le monde savait pertinemment. Mais je voulais
essayer quand même, et donc je suis allé le voir et je lui ai tout raconté, tout
en ajoutant que je n’étais pas le seul à avoir été sauvé par Hosenfeld. Qu’il
avait protégé des enfants juifs, également, et que dès le début de la guerre il
achetait des chaussures à de petits Polonais, leur donnait à manger… Je lui ai
aussi parlé de Leon Warm, et de la famille Cieciora. Beaucoup, beaucoup de gens
doivent la vie à cet Allemand, ai-je insisté. Berman m’a écouté attentivement. Il
m’a promis de faire ce qui était en son pouvoir. Au bout de quelques jours, il
a même téléphoné chez nous, personnellement. Pour dire qu’il était désolé mais
qu’il ne pouvait rien pour lui. “Si votre Allemand était encore en Pologne, on
aurait été en mesure de le sortir de là, m’a-t-il déclaré, mais nos camarades
soviétiques eux, ne le lâcheront pas. D’après eux, votre capitaine appartenait
à une unité qui menait des activités d’espionnage. Donc nous autres, Polonais, nous
n’avons aucun moyen d’intervention. Je suis impuissant, à ce niveau.” Lui, un
homme qui faisait la pluie et le beau temps grâce à Staline ! Résultat, je
me suis adressé au pire gredin de la bande et cela n’a servi à rien… »
Dans la Pologne de l’immédiat après-guerre, il aurait été
impossible de publier un livre dépeignant le courage et l’abnégation d’un
officier allemand. Les lecteurs d’aujourd’hui apprendront sans doute avec
intérêt que dans la version initiale de son récit Wladyslaw Szpilman avait été
contraint de transformer Wilm Hosenfeld en… Autrichien. Aussi absurde que cela
puisse paraître, un ange gardien venu d’Autriche et non d’Allemagne était donc
un « moindre mal », en ce temps-là. C’est qu’en pleine guerre froide
l’Autriche et l’Allemagne de l’Est avaient un argument hypocrite en commun :
l’une et l’autre prétendaient avoir subi à leur corps défendant
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