Le prix de l'indépendance
crois pas qu’elle puisse parler ; elle a la langue fendue en deux.
A ces mots, Mme Johnson lui tira la langue avec hargne, les deux moitiés s’agitant indépendamment. Se souvenant des serpents de son cauchemar, William eut un mouvement de recul, révulsé. Puis il aperçut la lueur de satisfaction dans son regard.
— Si elle peut faire ça avec son horrible langue, elle peut parler, déclara-t-il avant de se pencher pour saisir la femme par le cou : Donnez-moi une bonne raison de ne pas vous tuer vous aussi !
— Sssse n’est pas ma faute ! Il m’oblisssse à le faire !
Son sifflement était si impressionnant que, choqué, il faillit la lâcher. Il lança un regard vers le mort et répondit :
— Plus maintenant.
Il resserra son emprise, sentant un pouls battre sous son pouce.
— Combien de voyageurs avez-vous trucidés ainsi ?
Lorsque pour toute réponse elle se lécha lascivement les lèvres avec sa langue bifide, il la lâcha et la gifla. Rachel se raidit derrière lui.
— Tu ne dois pas…
— Oh, que si !
Il frotta sa main contre ses culottes, dans le but de se débarrasser de l’horrible sensation de la sueur de cette femme, de sa peau grasse, de sa gorge noueuse. Son autre main commençait à l’élancer douloureusement. Tremblant de rage, il eut soudain envie de ramasser la hache et de l’abattre sur le visage de cette sorcière, encore et encore, de lui fracasser le crâne, de la découper en morceaux. Elle le lut dans son regard et le nargua de ses yeux noirs et brillants. Il se tourna vers Rachel, les oreilles bourdonnantes.
— Vous ne voulez vraiment pas que je la tue ?
— Tu ne dois pas, chuchota-t-elle.
Très lentement, elle tendit la main vers sa main brûlée et, constatant qu’il ne s’écartait pas, la saisit délicatement.
— Tu es blessé, dit-elle doucement. Viens dehors avec moi, je vais te soigner.
Elle l’entraîna à l’extérieur, à demi aveugle et mal assuré sur ses jambes. Elle le fit s’asseoir sur le billot puis alla remplir un seau d’eau à l’abreuvoir. La pluie avait cessé mais les arbres gouttaient encore.
Elle s’installa à côté de lui, lava sa main dans l’eau froide, ce qui apaisa un peu la sensation de brûlure. Elle toucha sa cuisse là où le sang séché avait laissé une traînée mais il fit non de la tête et elle n’insista pas.
— Je vais t’apporter du whisky. Il y en a dans la sacoche de Denny.
Elle se releva mais il la retint par le poignet.
— Rachel…
Sa voix lui paraissait étrange, comme si un autre parlait à sa place.
— … Je n’avais encore jamais tué personne. Je ne… je ne sais pas comment je dois réagir…
Il scruta son visage, cherchant une explication.
— Je… je pensais que… que cela m’arriverait à la guerre. Là… oui, je crois que j’aurais su. Je veux dire que j’aurais su quoi ressentir.
Elle le regarda dans les yeux, l’air songeuse et soucieuse. La lumière effleurait son visage, d’un rose plus doux que le lustre de la nacre. Au bout d’un long moment, elle caressa doucement sa joue et répondit :
— Non, tu n’aurais pas su non plus.
Découvrez en avant-première la suite de L’Echo des cœurs lointains , en librairie le 18 août 2011
1
La croisée des chemins
William prit congé des Hunter à un carrefour anonyme quelque part dans la colonie du New Jersey. Il était préférable de ne pas les accompagner au-delà. Leurs questions sur la position des forces continentales étaient accueillies avec de plus en plus d’hostilité, ce qui signifiait qu’ils n’en étaient plus très loin. Ni les sympathisants des rebelles ni les loyalistes craignant les représailles d’une armée à leur porte ne souhaitaient renseigner de mystérieux voyageurs qui pouvaient fort bien être des espions, si ce n’est pire.
Les quakers s’en sortiraient mieux sans lui. Ils étaient si exactement ce qu’ils paraissaient être et la détermination de Denzell à servir comme médecin était si simple et admirable à la fois que, s’ils étaient seuls, les gens les aideraient plus volontiers. Du moins, ils répondraient plus facilement à leurs questions. En revanche, avec William…
Les premiers jours, il lui avait suffi de déclarer qu’il était un ami des Hunter. Les gens étaient intrigués par le petit groupe mais pas soupçonneux. Cependant, à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le New Jersey, l’agitation devenait tangible. Des fermes avaient été pillées par
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