Le prix de l'indépendance
à l’abri sous un arbre avec les animaux, puis Denny et lui se lancèrent à la recherche de la vache.
Cette dernière, un animal décharné et velu au regard fou, se révéla à la fois fuyante et obstinée. Il fallut les talents combinés des trois hommes pour l’attraper et la traîner jusque sur la route. Trempés et couverts de boue, les piteux voyageurs suivirent ensuite M. Antioch Johnson (car ainsi leur hôte s’était-il présenté) jusqu’à une petite ferme délabrée.
Cependant, le toit, fuyant ou pas, était une nette amélioration comparé à la pluie battante.
Mme Johnson était une souillon d’un âge indéfinissable, maussade et encore plus édentée que son mari. Elle jeta un regard hargneux au groupe dégoulinant sur son seuil et lui tourna le dos sans un mot. Elle daigna néanmoins leur servir un bol d’un ragoût infect et figé de graisse. Heureusement, la vache avait fourni du lait frais. William vit Rachel prendre une petite cuillerée de ragoût, pâlir puis recracher discrètement dans sa main. Elle reposa sa cuiller et se contenta ensuite de lait.
Il était trop affamé pour se soucier de ce qu’il mangeait et, fort heureusement, il faisait trop sombre dans la pièce pour voir le contenu de son bol.
Denny faisait des efforts pour se montrer sociable tout en oscillant de fatigue sur son tabouret. Il répondit aimablement aux questions de M. Johnson qui voulait tout savoir sur leursorigines, leur voyage, leur destination, leurs relations, les détails de la route, leurs opinions sur la guerre et s’il y avait du nouveau. Rachel s’efforçait de sourire de temps à autre mais son regard inquiet ne cessait d’errer dans la pièce, revenant toujours sur leur hôtesse assise dans un coin, la tête baissée, une pipe en terre pendant mollement de ses lèvres.
Le ventre plein et chaussé de bas secs, William sentit les épreuves de la journée le rattraper. Les flammes de l’âtre le plongeaient dans une sorte de transe ; les voix de Denny et de M. Johnson se fondant en un agréable murmure le berçaient. Il se serait sans doute endormi sur place si le bruit de Rachel qui se levait pour aller au cabinet d’aisances ne l’avait arraché à sa torpeur, lui rappelant qu’il devait vérifier si les bêtes étaient bien installées. Il les avait bouchonnées tant bien que mal et avait acheté du foin à M. Johnson mais il n’y avait pas de grange pour les héberger, juste un abri fait d’un toit de feuillage sur quatre hauts pieux. Il ne voulait pas qu’elles restent toute la nuit les pattes dans la gadoue si leur refuge venait à être inondé.
Il pleuvait toujours mais l’air était frais et pur. Les parfums nocturnes de sève et d’herbes lui montèrent à la tête. Il courut vers l’abri en s’efforçant de protéger la torche qu’il avait emportée.
L’abri n’était pas inondé. Les chevaux, les mules et la vache au regard fou se tenaient sur de la paille humide mais propre. La porte des latrines grinça et il vit la silhouette fine de Rachel en sortir. En apercevant la lueur de sa torche, elle vint le rejoindre, resserrant son châle autour de ses épaules.
— Les animaux vont bien ? demanda-t-elle.
Des gouttes de pluie étincelaient dans ses cheveux.
— Je pense qu’ils ont mieux dîné que nous.
Elle frissonna.
— J’aurais mille fois préféré manger du foin ! Tu as vu ce qu’il y avait dans ce…
— Non, l’interrompit-il, et je préférerais ne pas le savoir.
Elle rit, s’attardant à caresser les oreilles tombantes de sa mule. Elle semblait avoir aussi peu envie que William de retourner dans l’atmosphère fétide de la maison.
— Je n’aime pas la façon dont cette femme nous regarde, déclara-t-elle soudain. Elle fixe mes souliers comme si elle se demandait s’ils lui iraient.
William baissa les yeux vers les pieds de Rachel. Ses bottines usées et crottées n’avaient rien de luxueux mais étaient robustes. Elle lança un regard nerveux vers la maison.
— Je serai soulagée de partir d’ici, même s’il pleut toujours demain.
— Nous partirons, lui assura-t-il. Sans attendre le petit déjeuner si vous préférez.
Il s’adossa à l’un des piliers, sentant la fraîcheur du soir dans son cou. Bien que toujours épuisé, il était sorti de sa torpeur et il se rendit compte qu’il partageait le malaise de Rachel.
M. Johnson s’était montré prévenant en dépit de sa rudesse mais il y avait quelque chose de presque trop
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