Le prix de l'indépendance
élan vengeur. Sir Peter Packer était un nom qui en imposait mais, à la surprise de William, cen’était pas lui qui avait provoqué cet effet. Cutter le dévisagea en plissant les yeux.
— Votre père ? C’est bien lord John Grey, n’est-ce pas ?
— Euh… en effet, répondit William sur ses gardes. Vous… le connaissez ?
A cet instant, la porte d’une taverne voisine s’ouvrit et le père de William en sortit. Ce dernier sourit béatement devant cette apparition tombant à point nommé, mais se ressaisit dès qu’il croisa le regard d’acier du sergent.
— C’est quoi, cette grimace de primate que vous me faites ? gronda Cutter.
Il fut interrompu par la main de lord John se posant sur son épaule, familiarité qu’aucun des trois jeunes lieutenants n’aurait osée pour tout l’or du monde.
— Cutter ! s’exclama chaleureusement lord John. Dès que j’ai entendu cette voix suave, je me suis dit : Diable ! Ce ne peut être que le sergent Aloysius Cutter ! Personne d’autre sur terre ne parle comme un bouledogue qui aurait avalé un chat !
Aloysius ? Les trois jeunes officiers échangèrent un coup d’œil narquois. William contint son rire en constatant que son père s’était tourné vers lui.
— William ! Toujours aussi ponctuel ! Pardonne mon retard ; j’ai été retenu.
Avant que William ait pu répondre ou lui présenter ses camarades, lord John entraîna le sergent Cutter dans une longue évocation du bon vieux temps passé ensemble dans les plaines d’Abraham sous le commandement du général Wolfe.
Les trois jeunes gens en profitèrent pour se détendre légèrement, ce qui, dans le cas de Dobson, se traduisit par un retour au fil interrompu de ses pensées :
— Tu as bien dit que la poupée rousse était une amie de ton père ? chuchota-t-il à l’adresse de William. Tu ne pourrais pas lui soutirer l’endroit où elle loge ?
— Crétin ! siffla Osborn entre ses dents. Elle n’est même pas jolie. Elle a le nez aussi long que… Willie !
— J’ai pas levé les yeux jusqu’à son visage. J’avais ses nichons sous le nez, ça me suffisait amplement…
— Andouille !
— Chut !
Osborn écrasa le pied de Dobson pour le faire taire car lord John se tournait à nouveau vers eux.
— Tu ne me présentes pas tes amis, William ?
William s’exécuta, les joues en feu parce qu’il était bien placé pour savoir que son père, en dépit d’un ancien accident d’artillerie, avait l’ouïe fine. Intimidés, Dobson et Osborn s’inclinèrent respectueusement. Jusque-là, ils ne s’étaient pas rendu compte que leur camarade était le fils d’un personnage aussi important. William en fut à la fois fier et inquiet. Avant le lendemain soir, tout le bataillon serait au courant. Naturellement, sir Peter le savait déjà mais quand même…
Il rassembla ses esprits en constatant que lord John prenait congé en leurs deux noms. Il retourna son salut au sergent Cutter et hâta le pas pour rattraper son père, abandonnant Dobby et Osborn à leur triste sort.
— Je t’ai aperçu en train de discuter avec M. et Mme MacKenzie, déclara lord John. Ils vont bien, j’espère ?
— Apparemment, oui.
Willie n’avait aucunement l’intention de lui demander où ils logeaient, mais il était encore sous le charme de la jeune femme. Il n’aurait su dire si elle était jolie ou non. Il avait surtout été frappé par ses yeux, d’un merveilleux bleu nuit et bordés de longs cils auburn. Ils s’étaient fixés sur lui avec une intensité flatteuse qui lui avait réchauffé le cœur. Certes, elle était d’une taille absurde mais… Hé, à quoi pensait-il donc ? Une femme mariée… mère de famille ! Rousse, de surcroît !
Sachant à quel point sa propre famille nourrissait des sentiments politiques étonnamment pervers et contradictoires, il demanda prudemment :
— Tu… euh… tu les connais depuis longtemps ?
— Un certain temps. Elle est la fille de l’un de mes plus vieux amis, M. James Fraser. Tu te souviens peut-être de lui ?
William fouilla sa mémoire. Son père avait des milliers d’amis, comment pouvait-il… ?
— Ah ! fit-il soudain. Je cherchais parmi tes amis en Angleterre. Ne serait-ce pas ce M. Fraser auquel nous avons rendu visite dans les montagnes il y a bien longtemps ? La fois où tu avais contracté… la rougeole ?
L’expérience avait été traumatisante pour l’enfant qu’il était alors. Il avait effectué le voyage dans les
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