Le Roman des Rois
Dominique était un saint homme qui jeûnait au pain et à l’eau, vivait sans dormir, prêchait avec une flamme vive, suscitait à chacun de ses pas de nouveaux disciples.
Ceux-ci vivent dans la pauvreté, ils mendient, prêchent l’Évangile à toute créature. Ils sont écoutés, suivis, craints, et Dominique, comme un homme habité et guidé par Dieu, accomplit des miracles.
« Qu’il vienne ici, à Paris », se contenta de dire Philippe Auguste quand j’eus cessé de parler.
Le roi m’entraîna hors du Louvre et, accompagnés de quelques chevaliers, nous longeâmes l’enceinte de Paris, désormais achevée, gardée par des sergents.
Autour du Louvre, les rues étaient pavées et, sur ordre du roi, il était interdit d’y jeter des immondices. Ainsi la puanteur qui naguère empoisonnait l’air aux abords du Louvre avait disparu.
Le roi façonnait sa capitale à l’image de sa pensée, forte et mesurée.
Mais sa main, lorsqu’elle me saisissait le bras, le poignet ou l’épaule, était aussi dure qui si elle avait été gantée de fer.
Cette manière d’emprisonner révélait une volonté qui exigeait qu’on lui obéisse. Rien ne pouvait ni de devait lui résister.
« Il descend dans l’abbaye de Saint-Denis comme dans sa propre chambre », me dit-on.
Il obtenait qu’on lui versât un droit sur les sièges d’abbé et d’évêque vacants. Et il les maintenait sans titulaire, en récoltant ainsi les bénéfices. Il imposait « ce droit de régale » à l’Église.
« Je suis un grand amasseur de trésors », me dit-il en me montrant les coffres qui s’entassaient dans le donjon du Louvre.
Il pressait aussi bien les gens d’Église que les Juifs et les petits seigneurs.
Il accordait, moyennant versement d’un cens, sa protection aux Juifs en les laissant développer leurs activités de banque et d’usure.
Il étendait son autorité en offrant aux châtelains sa sauvegarde, tout comme il l’offrait aux abbayes que ces seigneurs féodaux dépouillaient souvent. Il mit ainsi fin à ces entreprises de « brigandage ».
Et j’ai vu s’agenouiller devant lui les seigneurs venus faire acte de repentance et d’allégeance.
J’ai entendu Roger de Crest, dont le château se dressait face à celui des Villeneuve de Thorenc, dire :
« Moi, Roger de Crest, déclare m’être mis à la discrétion de mon seigneur Philippe, illustre roi de France, et lui avoir fait réparation pour ne pas lui avoir rendu mes services comme je les lui dois. Et quant aux “entreprises” dont je me connaissais coupable envers les églises et abbayes, je donnerai telle satisfaction qu’il exigera. Quarante jours après qu’il aura fait connaître sa volonté, toutes les réparations seront ponctuellement accomplies… Enfin, j’ai fait jurer à mes vassaux, sur l’Évangile, que dans le cas où ils apprendraient que je cherche à nuire en quoi que ce soit à mon seigneur le roi de France, ils l’en avertiraient aussitôt et prendraient son parti contre moi. »
Alors qu’on s’inclinait ainsi devant lui, qu’on s’abandonnait entre ses mains, Philippe Auguste gardait un visage impassible comme s’il n’eût pas entendu ces déclarations de soumission.
Il dépouillait les seigneurs, les clercs, les Juifs d’une part croissante de leurs biens et bénéfices, mais le faisait avec humilité.
Il agissait le plus souvent sans avancer les raisons de ses actes, si bien qu’on lui prêtait les mobiles les plus divers, parfois les plus contradictoires.
Un jour que nous redescendions du donjon du Louvre, il s’arrêta plusieurs fois comme s’il avait peine à trouver son équilibre dans cet escalier étroit.
« Si j’ai amassé des trésors en différents lieux, murmura-t-il, si je me suis montré économe de mon argent, c’est que mes prédécesseurs, pour avoir été trop pauvres et n’avoir pu, dans les temps de nécessité, assurer une paie à leurs chevaliers, se sont vu enlever, par la guerre, une bonne partie de leurs États.
« J’ai voulu faire cesser cela et étendre le domaine du roi de France. Et, pour cela, tu le sais, Thorenc, je dois garder auprès de moi des sergents, piétons et cavaliers soldés. Je dois être un amasseur de trésors pour disposer d’une armée de chevaliers. Avec ces milites -là, je défends le royaume et l’agrandis.
« Telle est ma volonté. Et Dieu le veut.»
29.
Moi, Hugues de Thorenc, qui suis né trois fois dix ans après la
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