Le Roman des Rois
royaume de France et j’admire la franchise et même la brutalité de ses propos tels que les rapporte Henri de Thorenc :
« Nous sommes désolés que le soi-disant empereur Otton ait la possibilité de vous faire du mal, et cette pensée nous remplit le coeur d’amertume, écrit-il à Innocent III.
« Quant à vous envoyer par mer deux cents chevaliers, comment pourrions-nous le faire puisque la Provence est un territoire impérial et que les ports de ce pays appartiennent ainsi à l’Empire ? Vous voudriez que nous poussions les princes allemands à se révolter contre Otton afin de les forcer à quitter l’Italie. Croyez que nous n’y avons pas manqué ; mais les princes nous demandent des lettres signées de vous et des cardinaux, par lesquelles vous prendriez l’engagement de ne plus vous réconcilier avec Otton. Il faut que nous ayons ces lettres. Il faut même d’autres lettres de vous qui délient tous les sujets d’Otton de leur serment de fidélité et leur donnent l’autorisation d’élire un autre empereur. Alors, l’été prochain, nous nous mettrons en campagne et envahirons l’Empire avec notre armée. »
Quant à fournir de l’argent au pape pour la défense du siège apostolique, comme le demande le légat d’Innocent III, Philippe Auguste répond :
« Que les archevêques, les évêques, les abbés, les moines noirs et blancs, et tous les clercs de l’Église de France commencent par vous venir en aide, et nous vous aiderons volontiers à notre tour. Il faut les obliger à donner le tiers de leurs revenus… »
La langue de Philippe Auguste est on ne peut plus claire et forte.
« Au mois de novembre 1212, écrit Henri de Thorenc, j’ai accompagné Louis de France, fils héritier de Philippe Auguste, à Vaucouleurs.
« J’ai assisté à la rencontre entre Louis et Frédéric.
« J’ai entendu Frédéric saluer “Louis, le fils de son cher frère Philippe Auguste”. »
Un traité d’alliance a été conclu entre le roi de France et Frédéric contre Jean sans Terre et Otton, et le 5 décembre 1212 Frédéric de Hohenstaufen a été élu empereur.
Henri de Thorenc conclut : « Le roi de France, à l’égal du pape, était devenu faiseur d’empereur. »
30.
J’ai craint que le roi de France, mon suzerain, écrit Henri de Thorenc, maintenant faiseur d’empereur, ne succombe au vin de la gloire, à l’ivresse de la puissance, et ne titube, perdant toute prudence, offrant ses flancs aux lances de ses ennemis. Je les voyais se rapprocher les uns des autres, unis par le poison de la jalousie et de l’humiliation.
Ils écoutaient la voix de Jean sans Terre, que j’appellerai Jean le Cruel.
Il haïssait Philippe Auguste, la bouche pleine du fiel de l’amertume. Celui-ci avait vaincu, chassé de la terre française les Plantagenêts, et Jean ruminait sa revanche, impitoyable avec ceux de ses barons qui se rebellaient.
Il enlevait leurs femmes, leurs filles et leurs soeurs. Il prenait en otages les fils, les enfermaient dans les cachots de ses châteaux, jusqu’à ce que les barons viennent implorer sa clémence, offrir leurs biens pour obtenir la libération de leurs proches.
Mais ceux-ci étaient déja morts.
Une mère, épouse d’un chevalier rebelle, avait dévoré dans sa prison, après des dizaines de jours sans nourriture, les joues de son tout jeune fils.
D’autres fuyaient, se réfugiaient auprès du roi de France, invitaient Philippe Auguste à débarquer dans le royaume d’Angleterre afin d’en chasser Jean sans Terre, le Cruel.
Mais le roi d’Angleterre incarnait aussi l’espérance pour ceux qui ne supportaient pas la domination de Philippe. Le comte de Boulogne, Renaud de Dammartin, souffrait d’être soumis au roi de France alors qu’il voulait régner dans son fief en souverain.
À lui qui n’était qu’un petit seigneur gonflé de vanité, Jean sans Terre offre une place en son Conseil royal, il en fait un messager de ses ambitions.
Renaud de Dammartin va ainsi d’Otton de Brunswick, empereur dépossédé, à Ferrand, comte de Flandre.
Sur ordre de Jean sans Terre, il bâtit une coalition. Il porte de l’un à l’autre les messages secrets. Il convainc le comte de Hollande, Guillaume, et le duc de Limbourg et de Lorraine de rejoindre cette large alliance.
Et Jean sans Terre ne cesse de flatter et corrompre.
« J’ai fait hommage de fidélité au seigneur Jean sans Terre, roi d’Angleterre, comme à mon
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