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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession) Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Stephen Crane
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compagnons, sûr qu’ils devaient discerner sur son visage les signes de cette hantise. Mais ils avançaient lourdement dans une tenue déplorable, discutant sans arrêt sur les accomplissements de la récente bataille.
    – « Oh, si quelqu’un venait me demander ce qui s’était passé, je dirais qu’on a reçu une sacrée bonne raclée… »
    – « Raclée !… mon œil ! On n’a pas été corrigé fiston. Nous allons descendre par ces chemins, faire un détour, et tomber sur eux par derrière. »
    – « Oh la ferme avec ton tomber sur eux par l’arrière. On en a assez vu. Ne me parle pas de leur tomber dessus par l’arrière. »
    – « Bill Smithers, il dit qu’il préfère plutôt participer à cent batailles que d’être dans cet hôpital de campagne. Il dit qu’on leur tire dessus la nuit, et que les obus leur tombent droit dessus dans cet hôpital. Il dit n’avoir jamais entendu autant de cris. »
    – « Hasbrouk ? C’est le meilleur officier de ce régiment. C’est un grand ! »
    – « Je t’avais pas dit que nous allions les prendre par derrière ? Ne te l’avais-je pas dit ? On… »
    – « Oh la ferme ! »
    – « Tu me rends malade. »
    – « Rentre chez toi imbécile ! »
    Durant un temps ces souvenirs du soldat aux haillons qui le poursuivaient, éteignirent toute la félicité que son âme ressentait. Il voyait si vivement son erreur qu’il craignit qu’elle ne lui restât sur la conscience toute sa vie. Il ne prenait parti dans aucune discussion de ses camarades, de même qu’il ne les regardait ni semblait les reconnaître, sauf quand il les soupçonnait subitement de voir ses pensées et scruter chaque détail de la scène avec le soldat en haillons.
    Pourtant, il rassembla graduellement ses forces et écarta ce péché au loin. Et alors, il le considéra avec ce qu’il prenait pour un grand calme. Il conclut enfin qu’il y voyait des comportements capricieux et bizarres. Il se dit que l’importance de la chose serait grande pour lui si plus tard elle pouvait réfréner les élans de son égoïsme. Cela le rendrait plus équilibré et plus sobre, devenant en somme une bonne part de lui-même. Il porterait souvent la conscience d’une grande faute, et serait amené à se comporter avec douceur et attention. Il serait un homme enfin.
    L’intention d’utiliser cette faute à bon escient ne lui donna pas une joie complète, mais c’était le meilleur sentiment qu’il pu exprimer en les circonstances ; et quand cela fût mis à côté de sa réussite, ou ses exploits devant tous, il sût être tout à fait satisfait. Et ses yeux s’ouvraient à des voies nouvelles. Il sut qu’il pouvait reconsidérer son premier cantique sur les gallons dorés et les parades, et les voir sous leur vrai jour. Il fut heureux de savoir que maintenant il les méprisait.
    Il émergea de ses luttes avec une grande sympathie pour l’univers entier. Avec ce nouveau regard, il voyait que les coups manifestes aussi bien que secrets qu’on recevait au monde avec une si divine prodigalité, étaient en vérité des bénédictions. Une divinité l’entourait pour le corriger.
    Les malédictions qu’il lançait contre ces choses s’étaient perdues quand la tourmente eut cessé. Il n’oserait plus se tenir fièrement dans l’erreur, maudissant les lointaines planètes. Il appréhendait son insignifiance, mais aussi qu’il n’était point indifférent au soleil. Dans cet énorme brassage de l’univers, les graines comme lui ne seraient point perdues.
    Avec cette conviction vint une confortable assurance. En lui, il ressentait une humanité tranquille, incertaine, mais d’un sang fort et vigoureux. Il savait qu’il ne tremblerait plus devant ses guides, là où ils lui diraient d’aller. Près de toucher la mort, il sut qu’elle n’était, après tout, pour lui comme pour les autres, que la mort. Il était un homme enfin.
    Ainsi, comme il s’éloignait péniblement de l’endroit où la colère et le sang avaient jailli il arriva que son âme se transformât. Il venait de prendre sa part d’infernal labour, et allait vers la perspective d’un bosquet paisible ; et ce fût comme si ce qu’il venait de quitter n’avait jamais eu lieu. Les blessures s’évanouirent aussi vite qu’une fleur qui se fane.
    Il se mit à pleuvoir. La procession des soldats exténués devenait un train délabré, murmurant et triste, qui avançait avec un violent

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