L'empereur des rois
de Schönbrunn. Elle attend dans cette maison de Meidling, voisine du château. Elle est lisse, paisible et fraîche comme l’eau de cette fontaine. Elle n’a aucune des hypocrisies, des habiletés, des roueries des femmes qu’il a connues. Elle a les rondeurs fermes de la jeunesse. Elle ne murmure qu’à propos de la Pologne. Mais elle comprend et accepte ce qu’il lui dit.
Il se tourne vers Duroc tout en recommençant à marcher, se dirigeant vers la Gloriette, cette petite colline surmontée d’un portique et qui est un belvédère dominant les jardins et tous les pays alentour. Vienne est là-bas, au loin, dans l’incendie de l’aube.
La Pologne, c’est toujours un sujet sur lequel toutes les négociations avec la Russie sont rompues.
— On ne fait que ce qu’on peut, commence-t-il. Si j’étais empereur de Russie, je ne consentirais jamais à la moindre augmentation du duché de Varsovie, comme moi je me ferais tuer, et mes dix armées avec, pour défendre la Belgique. De plus, je ferais une onzième armée d’enfants et de femmes pour combattre et défendre tout ce qui serait au préjudice de la France. Le rétablissement de la Pologne dans ce moment-ci est impossible pour la France. Je ne veux pas faire la guerre à la Russie.
Il secoue la tête. Et il ressent à nouveau cette brûlure à la base de la nuque.
Il a déjà consulté le docteur Yvan, qui a pansé sa blessure à Ratisbonne et qui, comme chirurgien-chef attaché à la personne de l’Empereur, ne le quitte jamais depuis plusieurs années.
Mais Yvan n’a aucun génie. Et le docteur Frank, le plus célèbre praticien, est venu de Vienne examiner le cou de Napoléon. Il s’est composé le visage grave d’un savant qui découvre une maladie incurable.
Napoléon se frotte la nuque. Doit-il croire ce médecin autrichien ? Il l’a écouté parler de vice dartreux, de traitements vésicatoires, de médicaments et d’onguents.
— Le docteur Corvisart est arrivé de Paris cette nuit, dit Duroc.
Le grand maréchal du palais se justifie. Il a pris la décision d’inviter Corvisart à Schönbrunn après le diagnostic du docteur Frank.
Napoléon hausse les épaules. Il se souvient de sa nuit avec Marie. Il ne croit pas que son corps soit gravement atteint. Peut-être n’est-ce que l’inquiétude, les fatigues de la guerre et la cruauté de ce qu’il a vu, ces hommes morts, Lannes, Lasalle et plus de cinquante mille autres, et cette odeur de chair grillée flottant sur le plateau de Wagram.
À Paris, dit-il, l’annonce du départ du médecin de Sa Majesté, du grand Corvisart, a dû faire naître les suppositions les plus folles.
On doit reparler de ma succession .
— J’ai quarante ans, Duroc. Si je meurs…
Il s’interrompt, il prise, puis écarte d’un mouvement brusque le col de sa redingote qui lui irrite la peau.
Il veut un fils. Il doit divorcer. C’est maintenant, à quarante ans, ou jamais.
Il rentre au château, convoque Méneval, commence à lire les dépêches. Au bout de quelques minutes, il lève la tête.
Cette nuit, Marie lui a annoncé qu’elle croyait être enceinte. Il a posé les deux mains sur son ventre. Un fils, là – une nouvelle preuve de sa capacité à donner la vie. Il doit divorcer. Dès que la paix sera conclue avec Vienne, il rentrera à Paris, tranchera d’un seul coup brutal, comme on ampute un membre sur le champ de bataille.
Mais quand pourra-t-il quitter Schönbrunn ? Les Autrichiens négocient habilement, refusent la transaction qu’il leur a proposée : l’abdication de l’empereur François I er , responsable de la guerre, contre l’intégrité préservée du territoire.
Qu’espèrent-ils en tardant ? Que le débarquement réalisé par les Anglais dans l’île de Walcheren, avec l’intention sans doute de marcher sur Anvers et la Hollande, réussisse ? Que j’entre en guerre avec la Russie à propos de la Pologne ? Ou bien que les catholiques des pays d’Europe s’insurgent contre moi parce que le pape a été arrêté ?
Il convoque Champagny, le ministre des Relations extérieures. Cet homme n’a aucune des qualités de Talleyrand, mais c’est un exécutant honnête.
— Je suis fâché qu’on ait arrêté le pape, dit Napoléon. C’est une grande folie.
Il prise. Il marche de long en large. Il avait en effet évoqué la possibilité que l’on enferme le souverain pontife. Mais – il tape du pied – il n’en a jamais donné
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