L'empereur des rois
dimanche 9 juillet, il se sent mieux. À 2 heures du matin, il écrit à Joséphine.
« Tout va ici selon mes désirs, mon amie, dit-il. Mes ennemis sont défaits, battus, tout à fait en déroute. Ils étaient nombreux, je les ai écrasés. Mes pertes sont assez fortes. Bessières a eu un boulet qui a touché le gros de la cuisse ; la blessure est très légère. Lasalle a été tué.
« Ma santé est bonne aujourd’hui ; hier j’ai été un peu malade d’un débordement de bile, occasionné par tant de fatigues, mais cela me fait grand bien.
« Adieu, mon amie, je me porte bien.
« Napoléon »
Le lundi 10, il quitte le château de Wolkersdorf et galope en direction de Znaïm. Il connaît ce paysage. Il distingue au loin les pentes du plateau de Pratzen. C’était le 2 décembre 1805, Austerlitz. La veille, les milliers de torches des soldats célébraient, en attendant la bataille, l’anniversaire du sacre.
Il n’a pas cessé d’être à la tête d’une armée. Il doit combattre à nouveau ceux qu’il a vaincus !
Il lance des ordres pour qu’on attaque les troupes de l’archiduc Charles, qui viennent d’engager le combat pour protéger la retraite du gros de l’armée.
Vaincre.
Il entre dans sa tente, qu’on a dressée dans un champ couvert de hautes herbes. Un orage violent éclate tout à coup, mais on entend encore, mêlées au tonnerre, les explosions des boulets.
Il est 17 heures le mardi 11 juillet 1809. Un cavalier autrichien s’avance, précédé par une escorte française. C’est le prince de Liechtenstein qui vient demander une suspension des combats.
Napoléon est debout dans sa tente. Les maréchaux se présentent autour de lui. Davout répète qu’il faut en finir avec les Habsbourg, avec ces Autrichiens qui reçoivent de l’argent anglais. Oudinot, Masséna, Macdonald approuvent.
Il sort de la tente. La pluie a cessé. Le canon tonne. Dans une bande de ciel bleu qui barre l’horizon, il aperçoit à nouveau le plateau de Pratzen.
— Il y a eu assez de sang versé, dit-il.
D’un signe, il indique au maréchal Berthier qu’il doit accorder la suspension des hostilités.
Il va rentrer à Schönbrunn. Peut-être Marie Walewska l’attend-elle déjà. Peut-être sera-ce la paix.
Il griffonne quelques mots pour Joséphine.
« Je t’envoie la suspension d’armes qui a été conclue hier avec le général autrichien. Eugène est du côté de la Hongrie et se porte bien. Envoie une copie de la suspension d’armes à Cambacérès, en cas qu’il ne l’ait pas déjà reçue.
« Je t’embrasse et me porte fort bien.
« Napoléon
« Tu peux faire imprimer à Nancy cette suspension d’armes. »
Joséphine est à Plombières. Elle prend les eaux, vieille femme qui se défend, qui veut continuer de donner le change, de lutter contre le temps.
Tout est guerre.
Septième partie
Il faut faire la paix
14 juillet 1809 – 26 octobre 1809
27.
Il a quarante ans aujourd’hui, 15 août 1809. Il marche en compagnie de Duroc dans la grande allée des jardins du château de Schönbrunn. Il est à peine 7 h 30. Le soleil levant, à l’horizon, illumine les toits de Vienne. Napoléon se tourne. Il aperçoit derrière les arbres, qui forment une clôture naturelle aux jardins, la façade blanche de la maison où se trouve Marie Walewska. Elle est installée là depuis la mi-juillet.
Il s’arrête. À gauche de l’allée, il reconnaît la ruine romaine, l’obélisque et la fontaine qu’il avait vus en 1805 lors de son premier séjour à Schönbrunn. Quatre ans déjà. Il a quarante ans.
Il passe les doigts sur la base de sa nuque. La peau est craquelée, boursouflée. Elle l’irrite. Et il a même l’impression qu’une douleur diffuse gagne, à partir de cette inflammation rouge, les épaules, le crâne.
Mais faut-il écouter les criailleries de son corps ? Il a continué à vivre. Il voit Marie Walewska chaque nuit. Il l’aime avec fougue. Et cette nuit encore, avant de rentrer au château pour accueillir les dignitaires qui, à 7 heures, sont venus présenter leurs compliments pour le 15 août, jour de ses quarante ans.
Cette nuit, à côté de Marie, il s’est senti apaisé. Les douleurs qui lui serrent le dos, l’estomac, ont disparu. Et même cette brûlure de la peau dans le cou, il l’a oubliée.
Marie n’exige jamais rien. Elle est discrète. Elle n’assiste même pas aux spectacles qui sont donnés dans le théâtre
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