L'empereur des rois
en amazone, portant l’uniforme de son régiment de dragons, écrivant vingt-cinq lettres par jour pour exciter de toutes parts l’incendie.
— Ce roi ne sait pas quelles rhapsodies on lui fait écrire. C’est par trop ridicule ! Il ne le sait pas !
Napoléon s’arrête devant Berthier.
— Berthier, on nous donne pour le 8 un rendez-vous d’honneur. Jamais un Français n’y a manqué. Mais comme on nous dit qu’il y a une belle reine qui veut être témoin du combat, soyons courtois et marchons, sans nous coucher, sur la Saxe.
Il parcourt plusieurs fois la pièce en silence. Les mots montent en lui, comme d’une source profonde, jaillissante. Il se tourne vers son secrétaire. Il dicte une proclamation à la Grande Armée :
« Soldats, l’ordre pour votre rentrée en France était parti ; vous vous en étiez déjà rapprochés de plusieurs marches. Des fêtes triomphales vous attendaient… »
Il s’arrête. Il le sait bien : les soldats rêvaient au retour chez eux, à la paix.
« Mais des cris de guerre se sont fait entendre à Berlin », poursuit-il.
Il pense au Manifeste de Brunswick de 1792. Les hommes de la Grande Armée doivent se souvenir de ces menaces sur Paris, de cette morgue de Prussiens et d’émigrés, et de leur défaite à Valmy. Il faut faire revivre ce passé.
« La même faction, le même esprit de vertige qui conduisit il y a quatorze ans les Prussiens au milieu des plaines de la Champagne, domine dans leurs conseils, reprend-il. Leurs projets furent confondus alors, ils trouvèrent dans les plaines de la Champagne la défaite, la mort et la honte. Mais les leçons de l’expérience s’effacent et il est des hommes chez lesquels le sentiment de la haine et de la jalousie ne meurt jamais… »
Il parle aux soldats et il se parle à lui-même.
« Marchons donc, puisque la modération n’a pu les faire sortir de cette étonnante ivresse. Que l’armée prussienne éprouve le même sort qu’elle éprouva il y a quatorze ans ! »
Qu’on lise cette proclamation devant les soldats, ordonne-t-il.
C’est la guerre qui commence, les escarmouches aux avant-postes. C’est là qu’il veut, qu’il doit être. Tout en lui est mouvement.
Il quitte Bamberg. Il n’a confiance que dans son regard. Il veut reconnaître lui-même le défilé de Saalburg, voir de ses yeux les troupes du général prussien Tauenzien, inspecter lui-même les soldats qui bivouaquent sur les hauteurs en avant de Schleiz où vient de se dérouler le premier affrontement.
Les hommes se lèvent sur son passage, crient : « Vive l’Empereur ! » Il s’arrête, les félicite, lance :
— La conduite des Prussiens est indigne. Ils ont incorporé un bataillon saxon entre deux bataillons prussiens pour être ainsi sûrs d’eux, une telle violation de l’indépendance et une telle violation contre une puissance plus faible ne peuvent que révolter toute l’Europe.
Mais le moment n’est plus aux protestations. C’est celui des armes.
Il entend au loin une canonnade. Ce sont les troupes du maréchal Lannes qui attaquent à Saalfeld l’avant-garde du prince de Hohenlohe commandée par le prince Louis de Prusse, l’un des plus ardents partisans de la guerre contre la France.
Napoléon veut aller plus loin, vers l’avant. Il donne des ordres à Caulaincourt pour que son quartier général soit porté à Auna. C’est là qu’arrivent les rapports de Lannes puis de Murat. Il les lit debout, impatient.
Lannes raconte comment le maréchal des logis Guindey a d’un coup de pointe tué le prince Louis de Prusse qui, refusant de se rendre, a donné un coup de sabre au Français.
— C’est une punition du ciel, lance Napoléon, car c’est le véritable auteur de la guerre.
Puis il dicte ses directives : « L’art est aujourd’hui d’attaquer tout ce qu’on rencontre, afin de battre l’ennemi en détail pendant qu’il se réunit… Attaquez hardiment tout ce qui est en marche… Inondez avec votre cavalerie toute la plaine de Leipzig. »
Il est 4 heures du matin ce dimanche 12 octobre 1806. Il sort dans la nuit. Il éprouve un sentiment de joie et de puissance. « Je ne me suis trompé sur rien », murmure-t-il. Tout ce qu’il avait calculé il y a deux mois à Paris se réalise « marche pour marche, presque événement par événement ».
Il décide de se rendre à Gera, plus loin, afin de se rapprocher encore de ce qui sera le champ de la bataille
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