L'empereur des rois
29 septembre. On ne doit commettre aucune hostilité. »
Mais il ne faut jamais se laisser surprendre. Il ordonne l’achat de milliers de chevaux, fait reconnaître les chemins de Leipzig et de Dresde. Il examine minutieusement les rapports des officiers qu’il a envoyés en reconnaissance en Thuringe et en Saxe. La guerre est bien là. Les intentions prussiennes sont claires. Brunswick avance par la vallée du Main vers le Rhin. Napoléon dicte des ordres pour Berthier, écrit à Fouché.
« Les fatigues ne sont rien pour moi, dit-il. Je regretterais la perte de mes soldats si l’injustice de la guerre que je suis obligé de soutenir ne faisait retomber tous les maux que l’humanité va encore éprouver sur les rois faibles qui se laissent conduire par de brouillons vendus. »
Il est tendu. « Il est possible que les événements actuels ne soient que le commencement d’une grande coalition contre nous, et dont les circonstances feront éclore tout l’ensemble », écrit-il à Louis.
Il faut faire face. Dans la journée du 1 er octobre, il donne ses dernières directives. Il va lui-même partir pour Würzburg en fin de journée. L’armée doit achever de converger vers cette ville et Bamberg.
Il voit s’avancer vers lui Joséphine en compagnie de Talleyrand, qui a rejoint lui aussi Mayence. Il s’approche d’eux en marchant lentement. Il va quitter la ville, dit-il, il roulera de nuit, traversera Francfort pour atteindre Würzburg.
Joséphine est en larmes, et tout à coup Napoléon sent ses jambes fléchir. C’est comme si son corps fondait. Il s’accroche à Talleyrand et à Joséphine. Il ne peut retenir ses larmes. La tension accumulée, les fatigues de ce labeur de dizaines d’heures pour préparer la guerre l’écrasent tout à coup.
On le porte dans une chambre. Il est saisi de convulsions et de spasmes. Il vomit. Son visage est terreux.
Il reste ainsi plusieurs minutes, le corps tendu, couvert de sueur, secoué de soubresauts, les mâchoires serrées.
Puis, peu à peu, il retrouve son calme, regarde autour de lui et, sans un mot, il se lève, écartant ceux qui l’entourent.
Il se dirige vers sa voiture d’un pas alerte, comme s’il ne s’était rien produit.
Il part pour Würzburg, ainsi qu’il l’avait prévu. Il est 22 heures.
Que s’est-il passé en lui ?
Il y songe alors que la berline roule dans la nuit vers Francfort où il devrait arriver à 1 heure du matin, ce jeudi 2 octobre 1806. Il a décidé de dîner rapidement avec le prince primat, puis de poursuivre jusqu’à Würzburg.
Il étend ses jambes. Il déteste que son corps le trahisse. Quel est ce signe ? Faut-il qu’il voie le docteur Corvisart ? Mais il se sent bien maintenant. Et cette énergie qui rayonne à nouveau en lui le rassure, le met de bonne humeur. Il chantonne.
Tout au long du dîner à Francfort, il est gai, et quand il arrive à Würzburg, à 22 heures, il se sent dispos. Il plaisante avec ses aides de camp, entre d’un pas alerte dans le palais du grand-duc, qui est l’ancienne demeure des évêques de la ville.
Devant le grand escalier, il s’arrête. Il regarde cette foule de princes allemands qui se pressent autour de lui. Il reconnaît le roi de Wurtemberg, s’approche de lui, le prend familièrement par le bras.
Il a appris à être aussi seul, aussi libre dans une foule que dans une forêt. Les regards des autres ne l’atteignent pas. Et, quand il croise des yeux, ceux-ci se baissent. Il domine. Il est au-dessus du grouillement des hommes, au sommet, dans l’atmosphère rare de ceux qui disposent du sort des peuples et inscrivent leur nom dans l’Histoire.
Il dit au roi de Wurtemberg que, chef de la famille impériale, il a décidé de marier son frère Jérôme à la fille du roi, Catherine de Wurtemberg. À cet effet, il a, par un sénatus-consulte, fait de Jérôme – qui a renoncé à son épouse américaine et s’est ainsi plié à la volonté de Napoléon – un prince français qui entre en ligne de compte dans l’hérédité impériale. Le roi de Wurtemberg s’incline, fait état des pressions prussiennes, d’une lettre qu’il a reçue du duc de Brunswick le menaçant de faire flotter les aigles de Prusse sur Stuttgart si le Wurtemberg ne quitte pas la Confédération du Rhin.
— Je suis votre protecteur, dit Napoléon calmement. Toutes nos armées sont en mouvement. Je me porte fort bien et j’ai bonne espérance de venir à bout de tout
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