L'épopée d'amour
Pardaillan, tu as compris, toi ? Et tu me dis adieu, hein ? Chevalier, je t’ai toujours dit… que le chien est… un vraiment bon ami… A propos, chevalier, où est donc… le maréchal ? Et Loïse, Loïson ?…
– Me voici, monsieur, dit François de Montmorency en se penchant.
– Me voici, mon père, dit Loïse en s’agenouillant.
Le chevalier étouffa le rugissement qui montait à sa gorge, et de ses ongles, laboura sa poitrine.
– Maréchal, reprit le blessé, vous allez… donc… marier… nos enfants ?… Dites-le moi… je partirai… tranquille…
– Je vous le jure ! dit gravement Montmorency.
– Bon !… Eh bien, chevalier… tu n’es pas à plaindre… si j’avais encore… mes quarante ans… je t’obligerais, mordieu, à en découdre… avec moi !… Mais dites-moi, maréchal… vous aviez parlé… d’un certain comte de Margency…
– A qui je destinais ma fille, parce que je ne connaissais personne de plus digne d’elle… monsieur…
– Eh bien ?
– Le voici ! dit Montmorency en désignant le chevalier. Le comté de Margency m’appartient : je le donne au chevalier de Pardaillan… c’est la dot de Loïse…
Le vieux routier eut un pâle sourire. Ce long sifflement qui lui était familier pour exprimer l’admiration, retentit faiblement sur ses lèvres… Il murmura :
– Ta main, chevalier !…
Le chevalier, à bout de forces, s’abattit à genoux, saisit la main de son père, y colla ses lèvres et s’abandonna aux sanglots.
– Tu pleures ?… enfant !… Donc, te voilà… comte de Margency… Peste !… Que je te complimente… au moins !… Va, mon fils, tu seras heureux… Et vous aussi, ma chère enfant… Vos deux visages… près du mien… jamais je n’eusse osé… rêver… une aussi belle… mort !…
– Tu ne mourras pas ! bégaya le chevalier. Mon père !… oh ! père ! ne nous quitte pas !…
– C’est ici… ma dernière étape, chevalier, la bonne étape… de l’éternel repos !… Et tu voudrais que je ne meure pas ?… Je te trouve… bien égoïste !… Adieu maréchal… adieu Loïse… Loïsette… Loïson… je vous bénis, chère petite… adieu, chevalier…
Les mains du vieux routier devenaient glacées…
La mort le gagnait… la terrible marée du mystère indéchiffrable l’enlisait… Le sire de Pardaillan ferma un instant les yeux.
Il les rouvrit bientôt, jeta un regard autour de lui, et dit :
– Chevalier… je veux reposer… ici… l’endroit est charmant… près de cette source… sous ce grand hêtre… Moi qui ai couru… tant d’auberges… ce sera là ma dernière auberge… Madame la Mort est bonne hôtesse… jamais elle ne me chassera… Allons, chevalier… frappe à la porte… de l’Auberge éternelle… ah !… voici qu’on m’ouvre…
Une plainte déchirante jaillit des lèvres du chevalier.
Le vieux routier l’entendit… Un étrange sourire passa sur ses lèvres blanches. Il eut quelque chose comme un éclat de rire de suprême ironie, et il dit :
– A propos d’auberge… chevalier… n’oublie pas de payer… notre dette… à Huguette !…
Presque aussitôt, il leva les yeux vers la sérénité du ciel où les premières étoiles du soir s’allumaient une à une, pâles et douces.
Les mains du vieux Pardaillan étreignirent la main de son fils et celle de Loïse.
Il eut encore un murmure, presque un souffle, les yeux fixés sur une étoile qui souriait au fond de l’immensité bleuâtre.
– Oh ! les grandes routes… les belles chevauchées… pluie… vent… soleil… radieuse étoile… ciel paisible… toit de celui… qui n’eut jamais… de toit…
Une légère secousse l’agita.
Il demeura immobile, un sourire figé sur les lèvres, les yeux ouverts sur l’immensité du ciel crépusculaire au fond duquel les douces et pâles constellations s’éveillaient…
Le sire de Pardaillan, celui que notre grand historien national Henri Martin [32] si réservé dans ses admirations, a appelé l’héroïque Pardaillan… le vieux routier était mort…
Le chevalier de Pardaillan se retrouva vers minuit dans les bras du maréchal de Montmorency, Loïse soutenait sa tête et pleurait ; Pipeau se lamentait à ses pieds…
– Mon fils, dit le maréchal, soyez homme jusqu’au bout… songez que votre fiancée n’est pas en sûreté tant que nous n’aurons pas gagné Montmorency : songez que le démon qui l’a frappée…
– Maurevert ! fit
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