L'épopée d'amour
Qu’elle vive en paix, autant que la paix peut descendre en elle ! Mais l’homme !… ah ! l’homme ! C’est autre chose !…
– Allons donc ! dit Catherine. Que pouvez-vous contre lui ?
– Rien ! fit le moine, qui grinça des dents. Mais vous pouvez tout, vous !
– C’est vrai. Mais que m’importe ? Que Marillac épouse Alice de Lux, qu’ils s’aiment, qu’ils s’adorent, qu’ils affichent leur bonheur comme ils l’affichaient au Louvre le soir où Jeanne d’Albret, leur bienfaitrice, est morte sans qu’ils s’en aperçussent, tellement ils étaient occupés à se sourire, qu’ils s’en aillent, enfin, qu’est-ce que tout cela peut me faire ?…
– Qu’êtes-vous venue faire ici ! éclata le moine. Vous êtes la reine ! Je dis la reine la plus puissante de la chrétienté ! Les instructions que j’ai reçues de Rome vous indiquent comme la maîtresse absolue des destinées catholiques ! Reine, je vous ai parlé sans respect ; chef des catholiques, je vous ai crié que je n’ai ni foi ni croyance ! Et vous ne me faites pas saisir pour me jeter en quelque cachot, pour offrir ma mort en exemple aux hérétiques ! Pourquoi m’écoutez-vous avec tant de mansuétude ?… Madame, vous avez besoin de moi pour assouvir une vengeance que j’ignore, pour servir de ténébreux projets ! Eh bien, soit ! Je me donne à vous ! Pour le temps nécessaire, je consens à reparaître dans le monde des vivants ! Puis, lorsque j’aurai tué l’homme qui est aimé d’Alice, vous me ferez mourir à mon tour.
– Enfin, je vous retrouve ! dit gravement Catherine. Tout ce que vous avez dit, je l’oublie. Je suis venue vous trouver parce que j’ai besoin de vous. Et je comptais sur votre aide parce que je connaissais votre haine pour Marillac.
– Parlez donc ! Parlez, madame ! Si vous étiez Satan, je vous dirais que j’aime mieux damner mon âme plutôt que de porter en moi l’effroyable souffrance de la jalousie ! Délivrez-moi de cette jalousie, madame, et prenez mon âme !
– Je la prends ! dit Catherine avec un calme étrange.
Panigarola avait enfoncé ses mains sous sa robe et ensanglantait ses ongles sur sa poitrine.
Pitié, amour, douleur, tout disparaissait de lui.
Il était seulement l’homme qui hait.
Catherine, sûre désormais d’avoir conquis le moine, reprit avec une simplicité d’accent qui eût pu paraître plus terrible que les cris d’angoisse du moine :
– En somme, que voulez-vous ? Qu’Alice ne soit pas la femme du seul homme qu’elle ait jamais aimé ? Vous voulez tuer cet homme. Et vous voulez aussi qu’Alice ne sache pas que le meurtrier, c’est vous. Car vous aimez, car vous espérez encore ! Eh bien, tout cela est facile si vous me donnez en échange l’aide que je suis venue vous demander.
– Je suis prêt, dit Panigarola dans un souffle.
Alors, Catherine, d’une voix basse et rapide :
– Ecoutez. Par votre éloquence emportée et sauvage, vous êtes devenu l’homme qui peut bouleverser Paris. Pourquoi, tout à coup, avez-vous gardé le silence ? C’est votre affaire. Mais maintenant, je vous dis : Remontez dans la chaire, parcourez les églises de Paris, parlez, parlez encore comme vous parliez…
– Que m’importent les prédications, maintenant !
– Insensé ! Oubliez-vous que Marillac est huguenot ?
– Vous avez fait la paix ! Henri de Béarn épouse Marguerite de France !
– Et le lendemain, Marillac épouse Alice !
Panigarola poussa un effroyable soupir.
– La paix est faite, reprit Catherine avec un livide sourire. Et j’espère qu’elle sera maintenue. Mais il y a parmi ces huguenots une centaine de mauvaises têtes que jamais je ne pourrai réduire à la raison. Il s’agit de les faire disparaître. M’entendez-vous ? Un procès est impossible. Le procès de cent huguenots serait le signal de nouvelles guerres. Mais si le peuple, dans un jour de colère, tue ces hommes, s’ils disparaissent dans une tourmente, et que le roi désavoue ces meurtres, que je les désavoue aussi, la paix est à jamais consolidée. Or, que faut-il pour cela ? Surexciter les passions, mettons les superstitions du peuple, le démuseler pour un jour, ouvrir la cage de ce fauve, lui montrer ses victimes !… Pour cela, il faut votre terrible éloquence !… Si vous le voulez, les haines mal éteintes vont se rallumer. Si vous parlez, Coligny, Téligny, Condé, Marillac, une centaine de huguenots en tout
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