Les Amours qui ont fait la France
lettre ? Sade l’a-t-il inventée ? C’est peu probable ; d’un bout à l’autre de son ouvrage il semble rigoureux dans le choix de ses sources. Faisait-elle partie de ces documents trouvés par lui aux Chartreux de Dijon dont il nous dit, dans sa préface, qu’ils ont été détruits par « l’imbécile barbarie des vandales du XVIII e siècle », c’est-à-dire par les Révolutionnaires ? Peut-être.
Dans ce cas, la lettre serait authentique et Isabeau aurait une immense part de responsabilité dans la mort affreuse de Jeanne d’Arc. Ce serait elle, en effet, qui la première aurait traité la Pucelle de sorcière et d’hérétique, deux des chefs d’accusation qui la feront condamner au bûcher…
Mais Jeanne n’était pas encore entre les mains des Anglais. Elle s’était rendue à un seigneur du parti bourguignon, le Bâtard de Wandonne, qui l’avait cédée à son maître, Jean de Luxembourg. Il fallait donc l’acheter à celui-ci. Le 14 juillet, Pierre Cauchon, évêque de Beauvais et chancelier de la reine d’Angleterre, vint proposer 10 000 écus d’or contre la remise de Jeanne. Jean de Luxembourg, malgré les supplications de sa femme, accepta l’argent et livra la Pucelle qui fut conduite à Rouen.
Et, le 30 mai 1431, sur la place du Vieux-Marché, Jeanne, « la merveille de notre histoire et de toutes les histoires », mourait dans une gerbe de flammes, victime d’une vieille reine rendue folle par le désir d’amour…
La mort de Jeanne d’Arc avait redonné quelque espoir aux Anglais et à Isabeau.
Le sacre de Henri VI fut décidé.
Et, le 2 novembre 1431 au matin, le jeune garçon, qui allait avoir neuf ans, fit son entrée solennelle à Paris. Le prévôt des marchands et les échevins allèrent à sa rencontre en habit de cérémonie, et lui présentèrent le dais semé de fleurs de lys d’or sur fond d’azur.
Après quoi, le cortège, précédé de vingt-cinq hérauts d’armes et de vingt-cinq trompettes, se rendit au palais, à la Sainte-Chapelle et aux Tournelles. Tout au long des rues, le peuple parisien, qui a toujours aimé les défilés, criait : « Noël ! Noël ! » et le jeune roi saluait gentiment cette foule aimable. En passant devant l’hôtel Saint-Pol, il vit une vieille femme entourée de voiles qui se penchait à une fenêtre. C’était Isabeau de Bavière, sa grand-mère, qui se délectait d’un spectacle longtemps désiré.
Henri VI, très respectueusement, la salua en abattant son chaperon. La reine lui rendit son salut par un geste de la main et rentra dans sa chambre, ivre de joie. Son rêve le plus cher était réalisé : son petit-fils, par la vertu du sacre, allait devenir roi de France et d’Angleterre ; et elle allait pouvoir régner sur ces deux pays. Un enfant de neuf ans peut-il ne pas être aveuglément soumis à la volonté de sa grand-mère ?
Après le dîner, Henri vint rendre visite à Isabeau. Tout de suite, elle sut lui parler :
— Mon fils, lui dit-elle, ne cédez jamais le trône où je vous élève. Il n’y a que vous qui soyez digne de l’occuper…
Enfin, le 17 novembre, Henri VI fut sacré et couronné roi de France, à Notre-Dame, par le cardinal de Winchester.
Isabeau eut la décence de ne point paraître à la cérémonie. Pourtant, elle ne put s’empêcher de fêter en son hôtel, avec quelques amis sûrs, un événement qui lui permettait de nourrir les espoirs les plus insensés.
Elle ne se doutait pas qu’un mariage d’amour allait, quelques mois plus tard, transformer la situation, en séparant le parti bourguignon de l’Angleterre…
Le 13 novembre 1432, « en l’hôtel de Bourbon, emprès le Louvre », deux heures après minuit, une gracieuse jeune femme de vingt-huit ans trépassait doucement. Sa mort allait avoir des conséquences inattendues.
Cette dame, qui s’appelait Anne, était la sœur de Philippe de Bourgogne, et la femme du régent de France, le duc de Bedford. Tout le monde l’aimait à Paris pour sa bonté et sa grâce. On disait d’elle qu’elle était « la plus plaisante de toutes dames qui adoncques fussent en France… ». Ses obsèques furent suivies par une foule navrée qui plaignit le pauvre duc de Bedford dont le désespoir eût arraché des larmes à un « écorcheur »…
Or, au début du printemps, le régent, qui semblait inconsolable, changea brusquement d’humeur. Sa tristesse fit place à une douce mélancolie.
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