Les Amours qui ont fait la France
Son entourage n’eut pas le temps de s’en étonner, car on apprit assez rapidement qu’il avait rencontré une jeune femme rousse aux yeux verts pailletés d’or dont il était tombé amoureux. Elle s’appelait Jacqueline de Luxembourg, et l’on put admirer bientôt avec émotion sa démarche onduleuse.
Au mois d’avril, Bedford l’épousa à Paris. La foule, qui était allée en pleurant aux obsèques d’Anne, se rendit joyeusement au mariage de Jacqueline.
Quand il fut informé de cette union, le duc de Bourgogne entra dans une violente colère et traita son ex-beau-frère de parjure.
— Je ne veux plus jamais voir cet homme, dit-il. Quand on est capable d’oublier si vite une épouse, on doit pouvoir, plus vite encore, trahir ses amis.
Et Philippe le Bon décida sur-le-champ de rompre avec les Anglais et de reconnaître Charles VII pour son roi.
Renversement d’alliances qui allait précipiter la défaite anglaise et ruiner de façon définitive les espoirs d’Isabeau.
La reine le comprit immédiatement et, suivant une méthode qui commençait à lui être familière, elle essaya de faire assassiner l’homme qui la gênait. Un individu nommé Gilles de Postel fut chargé par elle d’aller tuer le duc de Bourgogne. Découvert au moment où il allait commettre son forfait, le criminel fut arrêté et décapité sur l’heure.
Isabeau allait tenter une seconde fois de se débarrasser du duc de Bourgogne, lorsqu’elle apprit avec stupeur qu’une conférence devait avoir lieu à Paris pour étudier les conditions d’un traité de paix, et que Philippe le Bon allait servir de médiateur entre Henri VI et Charles VII.
Cette fois, elle s’avoua vaincue.
Assommée, rendue presque folle par un désespoir infini, elle s’enferma dans son hôtel et vécut dès lors amèrement, l’échine parfois glacée au souvenir de ses rêves défunts…
Le jour de Pâques 1435, le duc de Bourgogne, venant en négociateur, entra dans Paris avec son épouse. Avant de se rendre à l’assemblée, Philippe tint à organiser un fastueux défilé dans les rues de la capitale et prit un malin plaisir à passer devant l’hôtel Saint-Pol où la reine se terrait.
Cachée dans un coin de fenêtre, elle vit le fils de son dernier amant sourire dans un char couvert de drap d’or. Elle entendit la foule des Parisiens hurler de joie en voyant passer ces magnifiques équipages. Et elle pleura [139] …
Les propositions anglaises ayant été refusées par les ambassadeurs français, une paix séparée fut conclue à Arras entre Philippe le Bon et Charles VII. Une des clauses du traité était un véritable soufflet à Isabeau. Elle précisait que le duc de Bourgogne était convaincu que jamais Charles n’avait attenté aux jours de son père, Jean sans Peur, assassiné sur le pont de Montereau, et que l’auteur de ce crime continuerait à être recherché. En outre, Philippe reconnaissait formellement le roi Charles pour son seul et légitime souverain.
Bientôt, dans toute l’Île-de-France, puis en Normandie, les habitants se soulevèrent contre les Anglais qui durent reculer vers la mer.
Pendant que le roi retrouvait ainsi, chaque jour, un peu de son royaume, à Saint-Pol, abandonnée de tous, la vieille reine terminait misérablement sa vie. Privée d’argent, elle, qui avait jadis puisé à pleines mains dans le Trésor royal, était obligée de porter des vêtements « qu’elle eût rougi, autrefois, de voir aux femmes qui la servaient ».
« Elle était si pauvrement gouvernée, nous dit un chroniqueur du temps, qu’en la voyant on lui demandait à elle-même où était la reine. Elle n’avait que huit septiers de vin par jour, pour elle et pour sa maison. On faisait si peu état d’elle, pour les grands maux qu’elle avait causés sur la terre, qu’on eut l’insolence de la poursuivre en raison de dettes contractées par elle pour les premiers besoins de sa vie, tels que le feu, l’éclairage, la nourriture, etc. Et elle fut condamnée au payement. »
Enfin, le 30 septembre 1435, Isabeau rendit le dernier soupir. Elle avait soixante-huit ans.
Son corps, dont l’ardeur avait causé tant de maux à la France, fut exposé pendant trois jours au public, et les Parisiens se rendirent en foule à Notre-Dame pour le contempler.
L’enterrement posa un problème. Les Armagnacs occupant alors quelques villages autour de Paris, on craignit de les rencontrer en allant à Saint-Denis et
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