Les Amours qui ont fait la France
Là, Jeanne dit au duc d’Alençon :
— Mon beau duc, faites appareiller vos gens et ceux des autres capitaines. Par mon Martin, je veux aller voir Paris de plus près que je ne l’ai vu.
Le 26 août, la Pucelle entrait à Saint-Denis sans difficulté, et le 8 septembre elle était devant les murs de la capitale. À deux heures de l’après-midi, brandissant son étendard, elle dirigeait un assaut sur les fossés de la porte Saint-Honoré (à l’endroit où se trouve aujourd’hui lu Comédie-Française).
Sa voix claire se fit entendre soudain au milieu du tumulte :
— De par Jésus, rendez-vous à nous bientôt. Car, si vous ne vous rendez pas avant la nuit, nous entrerons par force et serez mis à mort sans merci.
Alors un archer parisien l’ajusta de son arbalète en criant :
— Tais-toi, paillarde ! ribaude !
Avec un bruit d’abeille, une flèche vola en direction de Jeanne qui s’écroula, la cuisse transpercée.
Dans la nuit, l’armée royale, sur l’ordre de Charles VII, abandonnait le siège de Paris, et la Pucelle était emmenée à Saint-Denis où on la soigna. Or, tandis que soldats anglais et bourguignons fêtaient cette victoire, un homme se présentait à l’hôtel Saint-Pol. Isabeau le reçut aussitôt…
— Madame, lui dit-il, j’ai atteint et vraisemblablement tué cette sorcière. Ce pourquoi je viens vous demander de me bailler la récompense que vous m’avez promise.
Illuminée de joie, la reine fit remettre à l’instant deux mille saluts [137] à l’archer, lui ordonnant de recommencer si, par hasard, il reconnaissait n’avoir point réussi [138] .
Pendant l’hiver, Jeanne vécut chez ses bons amis les Orléanais, et Isabeau ne put rien contre elle. Mais au printemps 1430, bien que ses Voix lui eussent annoncé sa capture prochaine, la Pucelle, mécontente de l’inaction du roi, se rendit à Melun, puis à Lagny, enfin à Compiègne où elle désirait s’attaquer à une armée de quatre mille Bourguignons.
Au cours du combat, elle se trouva tout à coup entourée d’Anglais. Elle tenait tête à six cavaliers. Ils lui crièrent :
— Rendez-vous et donnez votre foi.
— J’ai juré et baillé ma foi à un autre qu’à vous, et je lui en tiendrai mon serment.
Alors, un archer, la tirant violemment par sa huque de drap d’or, la fit tomber de cheval. Elle était prisonnière.
Le soir même, Isabeau reçut un message qui lui apprenait la nouvelle. Se contenta-t-elle alors de savourer sa joie mauvaise ? Ce n’est pas sûr. Le marquis de Sade, dans son Histoire secrète d’Isabelle de Bavière , écrite à la fin de sa vie d’après les Archives de la Maison de Bourgogne, fait état d’une curieuse lettre que la vieille reine, boursouflée de haine, aurait fait envoyer trois jours plus tard, le 26 mai, au duc de Bedford. Lettre dont voici le texte en français moderne :
Vous sentez de quelle importance il est pour vous, duc de Bedford, de faire promptement condamner cette maudite sorcière qu’on nomme Jeanne la Pucelle, prise par un de vos braves Anglais et maintenant baillée au comte de Ligny, Jean de Luxembourg. C’est cette damnable créature, soufflée par l’esprit de Satan et se disant toujours inspirée par de males inspirations, qui a conduit à travers mille périls le prétendu roi Charles à se faire couronner à Reims. Mais Dieu nous en fait justice ; elle a été punie de ce méfait par des blessures et par sa captivité. Vous l’avez maintenant, gardez qu’elle n’échappe : la confiance entière que le Français a dans elle la rendrait plus redoutable encore ; on dirait que c’est un miracle que Monseigneur le benoît Dieu fait pour elle ; notre parti, déjà très chancelant, n’a pas besoin de cela pour choir, et vous savez quelle impression fait sur ce peuple ignorant tout ce qui tient à la superstition. Dites à l’Inquisiteur de la réclamer ; il le doit, puisque cette fille est véhémentement soupçonnée de plusieurs crimes sentant l’hérésie… Crimes qui ne peuvent ni se dissimuler, ni éviter la punition. Il faut donc que ce moine, que vous ferez agir, vous supplie de lui livrer cette femme, comme dépendante d’un office dont il est le chef élu par le Saint-Siège ; et, une fois que cette sorcière sera dans ses mains, dites-lui de procéder le plus tôt possible à son exécution.
Isabeau de Bavière, reine de France.
Que faut-il penser de cette extraordinaire
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