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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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du roi, cinquante de
madame de Pompadour pour la représentation de Belle-Vue, où elle
fit elle-même le rôle de Colin, cinquante de l'Opéra, et cinq cents
francs de Pissot pour la gravure; en sorte que cet intermède, qui
ne me coûta que cinq ou six semaines de travail, me rapporta
presque autant d'argent, malgré mon malheur et ma balourdise, que
m'en a rapporté depuis l'Émile, qui m'avait coûté vingt ans de
méditation et trois ans de travail. Mais je payai bien l'aisance
pécuniaire où me mit cette pièce, par les chagrins infinis qu'elle
m'attira: elle fut le germe des secrètes jalousies qui n'ont éclaté
que longtemps après. Depuis son succès, je ne remarquai plus ni
dans Grimm, ni dans Diderot, ni dans presque aucun des gens de
lettres de ma connaissance, cette cordialité, cette franchise, ce
plaisir de me voir, que j'avais cru trouver en eux jusqu'alors. Dès
que je paraissais chez le baron, la conversation cessait d'être
générale. On se rassemblait par petits pelotons, on se chuchotait à
l'oreille, et je restais seul sans savoir à qui parler. J'endurai
longtemps ce choquant abandon; et voyant que madame d'Holbach, qui
était douce et aimable, me recevait toujours bien, je supportais
les grossièretés de son mari, tant qu'elles furent supportables:
mais un jour il m'entreprit sans sujet, sans prétexte, et avec une
telle brutalité, devant Diderot, qui ne dit pas un mot, et devant
Margency, qui m'a dit souvent depuis lors avoir admiré la douceur
et la modération de mes réponses, qu'enfin chassé de chez lui par
ce traitement indigne, je sortis, résolu de n'y plus rentrer. Cela
ne m'empêcha pas de parler toujours honorablement de lui et de sa
maison; tandis qu'il ne s'exprimait jamais sur mon compte qu'en
termes outrageants, méprisants, sans me désigner autrement que par
ce petit cuistre, et sans pouvoir cependant articuler aucun tort
d'aucune espèce que j'aie eu jamais avec lui, ni avec personne à
qui il prît intérêt. Voilà comment il finit par vérifier mes
prédictions et mes craintes. Pour moi, je crois que mesdits amis
m'auraient pardonné de faire des livres, et d'excellents livres,
parce que cette gloire ne leur était pas étrangère; mais qu'ils ne
purent me pardonner d'avoir fait un opéra, ni les succès brillants
qu'eut cet ouvrage, parce qu'aucun d'eux n'était en état de courir
la même carrière, ni d'aspirer aux mêmes honneurs. Duclos seul,
au-dessus de cette jalousie, parut même augmenter d'amitié pour
moi, et m'introduisit chez mademoiselle Quinault, où je trouvai
autant d'attentions, d'honnêtetés, de caresses, que j'avais peu
trouvé tout cela chez M. d'Holbach.
    Tandis qu'on jouait le Devin du village à l'Opéra, il était
aussi question de son auteur à la Comédie française, mais un peu
moins heureusement. N'ayant pu, dans sept ou huit ans, faire jouer
mon Narcisse aux Italiens, je m'étais dégoûté de ce théâtre, par le
mauvais jeu des acteurs dans le français; et j'aurais bien voulu
avoir fait passer ma pièce aux Français, plutôt que chez eux. Je
parlai de ce désir au comédien la Noue, avec lequel j'avais fait
connaissance, et qui, comme on sait, était homme de mérite et
auteur. Narcisse lui plut, il se chargea de le faire jouer anonyme;
et en attendant il me procura les entrées, qui me furent d'un grand
agrément, car j'ai toujours préféré le Théâtre-Français aux deux
autres. La pièce fut reçue avec applaudissement, et représentée
sans qu'on en nommât l'auteur; mais j'ai lieu de croire que les
comédiens et bien d'autres ne l'ignoraient pas. Les demoiselles
Gaussin et Grandval jouaient les rôles d'amoureuses; et quoique
l'intelligence du tout fût manquée à mon avis, on ne pouvait pas
appeler cela une pièce absolument mal jouée. Toutefois je fus
surpris et touché de l'indulgence du public, qui eut la patience de
l'entendre tranquillement d'un bout à l'autre, et d'en souffrir
même une seconde représentation, sans donner le moindre signe
d'impatience. Pour moi, je m'ennuyai tellement à la première, que
je ne pus tenir jusqu'à la fin; et, sortant du spectacle, j'entrai
au café de Procope, où je trouvai Boissy et quelques autres, qui
probablement s'étaient ennuyés comme moi. Là, je dis hautement mon
peccavi, m'avouant humblement ou fièrement l'auteur de la pièce et
en parlant comme tout le monde en pensait. Cet aveu public de
l'auteur d'une mauvaise pièce qui tombe fut fort admiré, et me
parut très peu

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