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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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pénible. J'y trouvai même un dédommagement
d'amour-propre dans le courage avec lequel il fut fait; et je crois
qu'il y eut en cette occasion plus d'orgueil à parler, qu'il n'y
aurait eu de sotte honte à se taire. Cependant, comme il était sûr
que la pièce, quoique glacée à la représentation, soutenait la
lecture, je la fis imprimer; et dans la préface, qui est un de mes
bons écrits, je commençai de mettre à découvert mes principes, un
peu plus que je n'avais fait jusqu'alors.
    J'eus bientôt occasion de les développer tout à fait dans un
ouvrage de plus grande importance; car ce fut, je pense, en cette
année 1753, que parut le programme de l'Académie de Dijon sur
l'Origine de l'inégalité parmi les hommes. Frappé de cette grande
question, je fus surpris que cette académie eût osé la proposer;
mais puisqu'elle avait eu ce courage, je pouvais bien avoir celui
de la traiter, et je l'entrepris.
    Pour méditer à mon aise ce grand sujet, je fis à Saint-Germain
un voyage de sept ou huit jours, avec Thérèse, notre hôtesse, qui
était une bonne femme, et une de ses amies. Je compte cette
promenade pour une des plus agréables de ma vie. Il faisait très
beau; ces bonnes femmes se chargèrent des soins et de la dépense;
Thérèse s'amusait avec elles; et moi, sans souci de rien, je venais
m'égayer sans gêne aux heures des repas. Tout le reste du jour,
enfoncé dans la forêt, j'y cherchais, j'y trouvais l'image des
premiers temps, dont je traçais fièrement l'histoire; je faisais
main basse sur les petits mensonges des hommes; j'osais dévoiler à
nu leur nature, suivre le progrès du temps et des choses qui l'ont
défigurée, et comparant l'homme de l'homme avec l'homme naturel,
leur montrer dans son perfectionnement prétendu la véritable source
de ses misères. Mon âme, exaltée par ces contemplations sublimes,
s'élevait auprès de la Divinité; et voyant de là mes semblables
suivre, dans l'aveugle route de leurs préjugés, celle de leurs
erreurs, de leurs malheurs, de leurs crimes, je leur criais d'une
faible voix qu'ils ne pouvaient entendre: Insensés, qui vous
plaignez sans cesse de la nature, apprenez que tous vos maux vous
viennent de vous!
    De ces méditations résulta le Discours sur l'Inégalité, ouvrage
qui fut plus du goût de Diderot que tous mes autres écrits, et pour
lequel ses conseils me furent le plus utiles, mais qui ne trouva
dans toute l'Europe que peu de lecteurs qui l'entendissent, et
aucun de ceux-là qui voulût en parler. Il avait été fait pour
concourir au prix: je l'envoyai donc, mais sûr d'avance qu'il ne
l'aurait pas, et sachant bien que ce n'est pas pour des pièces de
cette étoffe que sont fondés les prix des académies.
    Cette promenade et cette occupation firent du bien à mon humeur
et à ma santé. Il y avait déjà plusieurs années que, tourmenté de
ma rétention d'urine, je m'étais livré tout à fait aux médecins,
qui, sans alléger mon mal, avaient épuisé mes forces et détruit mon
tempérament. Au retour de Saint-Germain, je me trouvai plus de
forces et me sentis beaucoup mieux. Je suivis cette indication, et,
résolu de guérir ou mourir sans médecins et sans remèdes, je leur
dis adieu pour jamais, et je me mis à vivre au jour la journée,
restant coi quand je ne pouvais aller, et marchant sitôt que j'en
avais la force. Le train de Paris parmi les gens à prétentions
était si peu de mon goût; les cabales des gens de lettres, leurs
honteuses querelles, leur peu de bonne foi dans leurs livres, leurs
airs tranchants dans le monde m'étaient si odieux, si
antipathiques, je trouvais si peu de douceur, d'ouverture de cœur,
de franchise dans le commerce même de mes amis, que, rebuté de
cette vie tumultueuse, je commençais à soupirer ardemment après le
séjour de la campagne; et, ne voyant pas que mon métier me permît
de m'y établir, j'y courais du moins passer les heures que j'avais
de libres. Pendant plusieurs mois, d'abord après mon dîner j'allais
me promener seul au bois de Boulogne, méditant des sujets
d'ouvrages, et je ne revenais qu'à la nuit.
    Gauffecourt, avec lequel j'étais alors extrêmement lié, se
voyant obligé d'aller à Genève pour son emploi, me proposa ce
voyage: j'y consentis. Je n'étais pas assez bien pour me passer des
soins de la gouverneuse: il fut décidé qu'elle serait du voyage,
que sa mère garderait la maison; et, tous nos arrangements pris,
nous partîmes tous trois ensemble le 1er juin

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