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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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rendre cela
douteux, du moins quant à la composition. Mon début à Paris, les
épreuves où j'y avais été mis à diverses fois, tant chez M. Dupin
que chez M. de la Poplinière; quantité de musique que j'y avais
composée pendant quatorze ans au milieu des plus célèbres artistes,
et sous leurs yeux; enfin l'opéra des Muses galantes, celui même du
Devin, un motet que j'avais fait pour mademoiselle Fel, et qu'elle
avait chanté au Concert spirituel; tant de conférences que j'avais
eues sur ce bel art avec les plus grands maîtres, tout semblait
devoir prévenir ou dissiper un pareil doute. Il existait cependant,
même à la Chevrette, et je voyais que M. d'Épinay n'en était pas
exempt. Sans paraître m'apercevoir de cela, je me chargeai de lui
composer un motet pour la dédicace de la chapelle de la Chevrette,
et je le priai de me fournir des paroles de son choix. Il chargea
de Linant, le gouverneur de son fils, de les faire. De Linant
arrangea des paroles convenables au sujet; et huit jours après
qu'elles m'eurent été données, le motet fut achevé. Pour cette
fois, le dépit fut mon Apollon, et jamais musique plus étoffée ne
sortit de mes mains. Les paroles commencent par ces mots: Ecce
sedes hic tonantis. La pompe du début répond aux paroles, et toute
la suite du motet est d'une beauté de chant qui frappa tout le
monde. J'avais travaillé en grand orchestre. D'Épinay rassembla les
meilleurs symphonistes. Madame Bruna, chanteuse italienne, chanta
le motet, et fut bien accompagnée. Le motet eut un si grand succès,
qu'on l'a donné dans la suite au Concert spirituel, où, malgré les
sourdes cabales et l'indigne exécution, il y a eu deux fois les
mêmes applaudissements. Je donnai, pour la fête de M. d'Épinay,
l'idée d'une espèce de pièce, moitié drame, moitié pantomime, que
madame d'Épinay composa, et dont je fis encore la musique. Grimm,
en arrivant, entendit parler de mes succès harmoniques. Une heure
après on n'en parla plus: mais du moins on ne mit plus en question,
que je sache, si je savais la composition.
    A peine Grimm fut-il à la Chevrette, où déjà je ne me plaisais
pas trop, qu'il acheva de m'en rendre le séjour insupportable, par
des airs que je ne vis jamais à personne, et dont je n'avais pas
même l'idée. La veille de son arrivée, on me délogea de la chambre
de faveur que j'occupais, contiguë à celle de madame d'Épinay; on
la prépara pour M. Grimm, et on m'en donna une autre plus éloignée.
Voilà, dis-je en riant à madame d'Épinay, comment les nouveaux
venus déplacent les anciens. Elle parut embarrassée. J'en compris
mieux la raison dès le même soir, en apprenant qu'il y avait entre
sa chambre et celle que je quittais une porte masquée de
communication, qu'elle avait jugé inutile de me montrer. Son
commerce avec Grimm n'était ignoré de personne, ni chez elle, ni
dans le public, pas même de son mari: cependant, loin d'en convenir
avec moi, confident de secrets qui lui importaient beaucoup
davantage, et dont elle était bien sûre, elle s'en défendit
toujours très fortement. Je compris que cette réserve venait de
Grimm, qui, dépositaire de tous mes secrets, ne voulait pas que je
le fusse d'aucun des siens.
    Quelques préventions que mes anciens sentiments, qui n'étaient
pas éteints, et le mérite réel de cet homme-là, me donnassent en sa
faveur, elle ne put tenir contre les soins qu'il prit pour la
détruire. Son abord fut celui du comte de Tuffière; à peine
daigna-t-il me rendre le salut; il ne m'adressa pas une seule fois
la parole, et me corrigea bientôt de la lui adresser, en ne me
répondant point du tout. Il passait partout le premier, prenait
partout la première place, sans jamais faire aucune attention à
moi. Passe pour cela, s'il n'y eût pas mis une affectation
choquante: mais on en jugera par un seul trait pris entre mille. Un
soir madame d'Épinay, se trouvant un peu incommodée, dit qu'on lui
portât un morceau dans sa chambre, et monta pour souper au coin de
son feu. Elle me proposa de monter avec elle; je le fis. Grimm vint
ensuite. La petite table était déjà mise; il n'y avait que deux
couverts. On sert: madame d'Épinay prend sa place à l'un des coins
du feu. M. Grimm prend un fauteuil, s'établit à l'autre coin, tire
la petite table entre eux deux, déplie sa serviette, et se met en
devoir de manger, sans me dire un seul mot. Madame d'Épinay rougit,
et, pour l'engager à réparer sa grossièreté, m'offre sa

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