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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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en eût
fait autant que moi, peut-être pis: car enfin, quelque fidèle,
quelque estimable que fût madame d'Houdetot, elle était femme; il
était absent, les occasions étaient fréquentes, les tentations
étaient vives, et il lui eût été bien difficile de se défendre
toujours avec le même succès contre un homme plus entreprenant.
C'était assurément beaucoup pour elle et pour moi, dans une
pareille situation, d'avoir pu poser des limites que nous ne nous
soyons jamais permis de passer.
    Quoique je me rendisse, au fond de mon cœur, un témoignage assez
honorable, tant d'apparences étaient contre moi, que l'invincible
honte qui me domina toujours me donnait devant lui tout l'air d'un
coupable, et il en abusait souvent pour m'humilier. Un seul trait
peindra cette position réciproque. Je lui lisais, après le dîner,
la lettre que j'avais écrite l'année précédente à Voltaire, et dont
lui, Saint-Lambert, avait entendu parler. Il s'endormit durant la
lecture; et moi, jadis si fier, aujourd'hui si sot, je n'osai
jamais interrompre ma lecture, et continuai de lire tandis qu'il
continuait de ronfler. Telles étaient mes indignités, et telles
étaient ses vengeances; mais sa générosité ne lui permit jamais de
les exercer qu'entre nous trois.
    Quand il fut reparti, je trouvai madame d'Houdetot fort changée
à mon égard. J'en fus surpris comme si je n'avais pas dû m'y
attendre; j'en fus touché plus que je n'aurais dû l'être, et cela
me fit beaucoup de mal. Il semblait que tout ce dont j'attendais ma
guérison ne fit qu'enfoncer dans mon cœur davantage le trait
qu'enfin j'ai plutôt brisé qu'arraché.
    J'étais déterminé tout à fait à me vaincre, et à ne rien
épargner pour changer ma folle passion en une amitié pure et
durable. J'avais fait pour cela les plus beaux projets du monde,
pour l'exécution desquels j'avais besoin du concours de madame
d'Houdetot. Quand je voulus lui parler, je la trouvai distraite,
embarrassée; je sentis qu'elle avait cessé de se plaire avec moi,
et je vis clairement qu'il s'était passé quelque chose qu'elle ne
voulait pas me dire, et que je n'ai jamais su. Ce changement, dont
il me fut impossible d'obtenir l'explication, me navra. Elle me
redemanda ses lettres; je les lui rendis toutes avec une fidélité
dont elle me fit l'injure de douter un moment. Ce doute fut encore
un déchirement inattendu pour mon cœur, qu'elle devait si bien
connaître. Elle me rendit justice, mais ce ne fut pas sur-le-champ;
je compris que l'examen du paquet que je lui avais rendu lui avait
fait sentir son tort: je vis même qu'elle se le reprochait, et cela
me fit regagner quelque chose. Elle ne pouvait retirer ses lettres
sans me rendre les miennes. Elle me dit qu'elle les avait brûlées;
j'en osai douter à mon tour, et j'avoue que j'en doute encore. Non,
l'on ne met point au feu de pareilles lettres. On a trouvé
brûlantes celles de la Julie: eh Dieu! qu'aurait-on donc dit de
celles-là? Non, non, jamais celle qui peut inspirer une pareille
passion n'aura le courage d'en brûler les preuves. Mais je ne
crains pas non plus qu'elle en ait abusé: je ne l'en crois pas
capable; et de plus, j'y avais mis bon ordre. La sotte, mais vive
crainte d'être persiflé m'avait fait commencer cette correspondance
sur un ton qui mît mes lettres à l'abri des communications. Je
portai jusqu'à la tutoyer la familiarité que j'y pris dans mon
ivresse: mais quel tutoiement! elle n'en devait sûrement pas être
offensée. Cependant elle s'en plaignit plusieurs fois, mais sans
succès: ses plaintes ne faisaient que réveiller mes craintes, et
d'ailleurs je ne pouvais me résoudre à rétrograder. Si ces lettres
sont encore en être, et qu'un jour elles soient vues, on connaîtra
comment j'ai aimé.
    La douleur que me causa le refroidissement de madame d'Houdetot,
et la certitude de ne l'avoir pas mérité, me firent prendre le
singulier parti de m'en plaindre à Saint-Lambert même. En attendant
l'effet de la lettre que je lui écrivis à ce sujet, je me jetai
dans les distractions que j'aurais dû chercher plus tôt. Il y eut
des fêtes à la Chevrette, pour lesquelles je fis de la musique. Le
plaisir de me faire honneur auprès de madame d'Houdetot d'un talent
qu'elle aimait excita ma verve; et un autre objet contribuait
encore à l'animer, savoir, le désir de montrer que l'auteur du
Devin du village savait la musique; car je m'apercevais depuis
longtemps que quelqu'un travaillait en secret à

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