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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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propre
place. Il ne dit rien, ne me regarda pas. Ne pouvant approcher du
feu, je pris le parti de me promener par la chambre, en attendant
qu'on m'apportât un couvert. Il me laissa souper au bout de la
table, loin du feu, sans me faire la moindre honnêteté, à moi
incommodé, son aîné, son ancien dans la maison, qui l'y avais
introduit, et à qui même, comme favori de la dame, il eût dû faire
les honneurs. Toutes ses manières avec moi répondaient fort bien à
cet échantillon. Il ne me traitait pas précisément comme son
inférieur; il me regardait comme nul. J'avais peine à reconnaître
là l'ancien cuistre qui, chez le prince de Saxe-Gotha, se tenait
honoré de mes regards. J'en avais encore plus à concilier ce
profond silence, et cette morgue insultante, avec la tendre amitié
qu'il se vantait d'avoir pour moi, près de tous ceux qu'il savait
en avoir eux-mêmes. Il est vrai qu'il ne la témoignait guère que
pour me plaindre de ma fortune, dont je ne me plaignais point, pour
compatir à mon triste sort, dont j'étais content, et pour se
lamenter de me voir me refuser durement aux soins bienfaisants
qu'il disait vouloir me rendre. C'était avec cet art qu'il faisait
admirer sa tendre générosité, blâmer mon ingrate misanthropie, et
qu'il accoutumait insensiblement tout le monde à n'imaginer entre
un protecteur tel que lui et un malheureux tel que moi, que des
liaisons de bienfaits d'une part, et d'obligations de l'autre, sans
y supposer, même dans les possibles, une amitié d'égal à égal. Pour
moi, j'ai cherché vainement en quoi je pouvais être obligé à ce
nouveau patron. Je lui avais prêté de l'argent, il ne m'en prêta
jamais; je l'avais gardé dans sa maladie; à peine me venait-il voir
dans les miennes; je lui avais donné tous mes amis, il ne m'en
donna jamais aucun des siens; je l'avais prôné de tout mon pouvoir,
et lui,… s'il m'a prôné, c'est moins publiquement, et c'est d'une
autre manière. Jamais il ne m'a rendu ni même offert aucun service
d'aucune espèce. Comment était-il donc mon Mécène? Comment étais-je
son protégé? Cela me passait et me passe encore.
    Il est vrai que, du plus au moins, il était arrogant avec tout
le monde, mais avec personne aussi brutalement qu'avec moi. Je me
souviens qu'une fois Saint-Lambert faillit à lui jeter son assiette
à la tête, sur une espèce de démenti qu'il lui donna en pleine
table, en lui disant grossièrement: Cela n'est pas vrai. A son ton
naturellement tranchant, il ajouta la suffisance d'un parvenu, et
devint même ridicule, à force d'être impertinent. Le commerce des
grands l'avait séduit au point de se donner à lui-même des airs
qu'on ne voit qu'aux moins sensés d'entre eux. Il n'appelait jamais
son laquais que par eh! comme si, sur le nombre de ses gens,
monseigneur n'eût pas su lequel était de garde. Quand il lui
donnait des commissions, il lui jetait l'argent par terre, au lieu
de le lui donner dans la main. Enfin, oubliant tout à fait qu'il
était homme, il le traitait avec un mépris si choquant, avec un
dédain si dur en toute chose, que ce pauvre garçon, qui était un
fort bon sujet, que madame d'Épinay lui avait donné, quitta son
service, sans autre grief que l'impossibilité d'endurer de pareils
traitements: c'était le Lafleur de ce nouveau Glorieux.
    Aussi fat qu'il était vain, avec ses gros yeux troubles et sa
figure dégingandée, il avait des prétentions près des femmes; et
depuis sa farce avec mademoiselle Fel, il passait auprès de
plusieurs d'entre elles pour un homme à grands sentiments. Cela
l'avait mis à la mode, et lui avait donné du goût pour la propreté
de femme; il se mit à faire le beau; sa toilette devint une grande
affaire; tout le monde sut qu'il mettait du blanc, et moi, qui n'en
croyais rien, je commençai de le croire, non seulement par
l'embellissement de son teint, et pour avoir trouvé des tasses de
blanc sur sa toilette, mais sur ce qu'entrant un matin dans sa
chambre, je le trouvai brossant ses ongles avec une petite vergette
faite exprès; ouvrage qu'il continua fièrement devant moi. Je
jugeai qu'un homme qui passe deux heures tous les matins à brosser
ses ongles peut bien passer quelques instants à remplir de blanc
les creux de sa peau. Le bonhomme Gauffecourt, qui n'était pas sac
à diable, l'avait assez plaisamment surnommé Tiran le Blanc.
    Tout cela n'était que des ridicules, mais bien antipathiques à
mon caractère. Ils achevèrent de me rendre

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