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Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
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mal jugé, et qu'en ce cas j'avais réellement,
envers un ami, des torts graves que je devais réparer. Bref, comme
j'avais déjà fait plusieurs fois avec Diderot, avec le baron
d'Holbach, moitié gré, moitié faiblesse, je fis toutes les avances
que j'avais droit d'exiger; j'allai chez Grimm comme un autre
George Dandin, lui faire des excuses des offenses qu'il m'avait
faites; toujours dans cette fausse persuasion, qui m'a fait faire
en ma vie mille bassesses auprès de mes feints amis, qu'il n'y a
point de haine qu'on ne désarme à force de douceur et de bons
procédés; au lieu qu'au contraire la haine des méchants ne fait que
s'animer davantage par l'impossibilité de trouver sur quoi la
fonder; et le sentiment de leur propre injustice n'est qu'un grief
de plus contre celui qui en est l'objet. J'ai, sans sortir de ma
propre histoire, une preuve bien forte de cette maxime dans Grimm
et dans Tronchin, devenus mes deux plus incapables ennemis par
goût, par plaisir, par fantaisie, sans pouvoir alléguer aucun tort
d'aucune espèce que j'aie eu jamais avec aucun des deux, et dont la
rage s'accroît de jour en jour, comme celle des tigres, par la
facilité qu'ils trouvent à l'assouvir.
    Je m'attendais que, confus de ma condescendance et de mes
avances, Grimm me recevrait, les bras ouverts, avec la plus tendre
amitié. Il me reçut en empereur romain, avec une morgue que je
n'avais jamais vue à personne. Je n'étais point du tout préparé à
cet accueil. Quand, dans l'embarras d'un rôle si peu fait pour moi,
j'eus rempli en peu de mots et d'un air timide l'objet qui
m'amenait près de lui, avant de me recevoir en grâce, il prononça,
avec beaucoup de majesté, une longue harangue qu'il avait préparée,
et qui contenait la nombreuse énumération de ses rares vertus, et
surtout dans l'amitié. Il appuya sur une chose qui d'abord me
frappa beaucoup: c'est qu'on lui voyait toujours conserver les
mêmes amis. Tandis qu'il parlait, je me disais tout bas qu'il
serait bien cruel pour moi de faire seul exception à cette règle.
Il y revint si souvent et avec tant d'affectation, qu'il me fit
penser que, s'il ne suivait en cela que les sentiments de son cœur,
il serait moins frappé de cette maxime, et qu'il s'en faisait un
art utile à ses vues dans les moyens de parvenir. Jusqu'alors
j'avais été dans le même cas, j'avais conservé toujours tous mes
amis; depuis ma plus tendre enfance, je n'en avais pas perdu un
seul, si ce n'est par la mort, et cependant je n'en avais pas fait
jusqu'alors la réflexion: ce n'était pas une maxime que je me fusse
prescrite. Puisque c'était un avantage alors commun à l'un et à
l'autre, pourquoi donc s'en targuait-il par préférence, si ce n'est
qu'il songeait d'avance à me l'ôter. Il s'attacha ensuite à
m'humilier par des preuves de la préférence que nos amis communs
lui donnaient sur moi. Je connaissais aussi bien que lui cette
préférence; la question était à quel titre il l'avait obtenue; si
c'était à force de mérite ou d'adresse, en s'élevant lui-même, ou
en cherchant à me rabaisser. Enfin, quand il eut mis à son gré,
entre lui et moi, toute la distance qui pouvait donner du prix à la
grâce qu'il m'allait faire, il m'accorda le baiser de paix dans un
léger embrassement qui ressemblait à l'accolade que le roi donne
aux nouveaux chevaliers. Je tombais des nues, j'étais ébahi, je ne
savais que dire, je ne trouvais pas un mot. Toute cette scène eut
l'air de la réprimande qu'un précepteur fait à son disciple, en lui
faisant grâce du fouet. Je n'y pense jamais sans sentir combien
sont trompeurs les jugements fondés sur l'apparence, auxquels le
vulgaire donne tant de poids, combien souvent l'audace et la fierté
sont du côté du coupable, la honte et l'embarras du côté de
l'innocent.
    Nous étions réconciliés; c'était toujours un soulagement pour
mon cœur, que toute querelle jette dans des angoisses mortelles. On
se doute bien qu'une pareille réconciliation ne changea pas ses
manières; elle m'ôta seulement le droit de m'en plaindre. Aussi
pris-je le parti d'endurer tout, et de ne dire plus rien.
    Tant de chagrins coup sur coup me jetèrent dans un accablement
qui ne me laissait guère la force de reprendre l'empire de
moi-même. Sans réponse de Saint-Lambert, négligé de madame
d'Houdetot, n'osant plus m'ouvrir à personne, je commençai de
craindre qu'en faisant de l'amitié l'idole de mon cœur, je n'eusse
employé ma vie qu'à sacrifier

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