Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Confessions

Les Confessions

Titel: Les Confessions Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Jacques Rousseau
Vom Netzwerk:
ou plutôt la passion
pour la musique, qui ne s'est bien développée en moi que longtemps
après. Elle savait une quantité prodigieuse d'airs et de chansons
qu'elle chantait avec un filet de voix fort douce. La sérénité
d'âme de cette excellente fille éloignait d'elle et de tout ce qui
l'environnait la rêverie et la tristesse. L'attrait que son chant
avait pour moi fut tel, que non seulement plusieurs de ses chansons
me sont toujours restées dans la mémoire, mais qu'il m'en revient
même, aujourd'hui que je l'ai perdue, qui, totalement oubliées
depuis mon enfance, se retracent à mesure que je vieillis, avec un
charme que je ne puis exprimer. Dirait-on que moi, vieux radoteur,
rongé de soucis et de peines, je me surprends quelquefois à pleurer
comme un enfant, en marmottant ces petits airs d'une voix déjà
cassée et tremblante? Il y en a un surtout qui m'est bien revenu
tout entier quant à l'air; mais la seconde moitié des paroles s'est
constamment refusée à tous mes efforts pour me la rappeler,
quoiqu'il m'en revienne confusément les rimes. Voici le
commencement, et ce que j'ai pu me rappeler du reste: Tircis, je
n'ose Ecouter ton chalumeau Sous l'ormeau; Car on en cause Déjà
dans notre hameau.
    … .. un berger … .. s'engager … .. sans danger; Et
toujours l'épine est sous la rose.
    Je cherche où est le charme attendrissant que mon cœur trouve à
cette chanson: c'est un caprice auquel je ne comprends rien; mais
il m'est de toute impossibilité de la chanter jusqu'à la fin sans
être arrêté par mes larmes. J'ai cent fois projeté d'écrire à Paris
pour faire chercher le reste des paroles, si tant est que quelqu'un
les connaisse encore. Mais je suis presque sûr que le plaisir que
je prends à me rappeler cet air s'évanouirait en partie, si j'avais
la preuve que d'autres que ma pauvre tante Suson l'ont chanté.
    Telles furent les premières affections de mon entrée à la vie;
ainsi commençait à se former ou à se montrer en moi ce cœur à la
fois si fier et si tendre, ce caractère efféminé, mais pourtant
indomptable, qui, flottant toujours entre la faiblesse et le
courage, entre la mollesse et la vertu, m'a jusqu'au bout mis en
contradiction avec moi-même, et a fait que l'abstinence et la
jouissance, le plaisir et la sagesse, m'ont également échappé.
    Ce train d'éducation fut interrompu par un accident dont les
suites ont influé sur le reste de ma vie. Mon père eut un démêlé
avec un M. Gautier, capitaine en France, et apparenté dans le
Conseil. Ce Gautier, homme insolent et lâche, saigna du nez, et,
pour se venger, accusa mon père d'avoir mis l'épée à la main dans
la Ville. Mon père, qu'on voulut envoyer en prison, s'obstinait à
vouloir que, selon la loi, l'accusateur y entrât aussi bien que
lui: n'ayant pu l'obtenir, il aima mieux sortir de Genève et
s'expatrier pour le reste de sa vie, que de céder sur un point où
l'honneur et la liberté lui paraissaient compromis.
    Je restai sous la tutelle de mon oncle Bernard, alors employé
aux fortifications de Genève. Sa fille aînée était morte, mais il
avait un fils de même âge que moi. Nous fûmes mis ensemble à Bossey
en pension chez le Ministre Lambercier, pour y apprendre, avec le
latin, tout le menu fatras dont on l'accompagne sous le nom
d'éducation.
    Deux ans passés au village adoucirent un peu mon âpreté romaine,
et me ramenèrent à l'état d'enfant. A Genève, où l'on ne m'imposait
rien, j'aimais l'application, la lecture; c'était presque mon seul
amusement. A Bossey, le travail me fit aimer les jeux qui lui
servaient de relâche. La campagne était pour moi si nouvelle que je
ne pouvais me lasser d'en jouir. Je pris pour elle un goût si vif,
qu'il n'a jamais pu s'éteindre. Le souvenir des jours heureux que
j'y ai passés m'a fait regretter son séjour et ses plaisirs dans
tous les âges, jusqu'à celui qui m'y a ramené. M. Lambercier était
un homme fort raisonnable, qui, sans négliger notre instruction, ne
nous chargeait point de devoirs extrêmes. La preuve qu'il s'y
prenait bien est que, malgré mon aversion pour la gêne, je ne me
suis jamais rappelé avec dégoût mes heures d'étude, et que, si je
n'appris pas de lui beaucoup de choses, ce que j'appris je l'appris
sans peine, et n'en ai rien oublié.
    La simplicité de cette vie champêtre me fit un bien d'un prix
inestimable, en ouvrant mon cœur à l'amitié. Jusqu'alors je n'avais
connu que des sentiments élevés, mais

Weitere Kostenlose Bücher